La commission scolaire English Montreal utilise, depuis une quinzaine d'années, des caméras vidéo dans ses autobus scolaires pour surveiller les élèves du primaire.

Des jeunes de 6 à 12 ans qui se tiraillent comme tous les enfants du monde. Pas des vendeurs de drogue, des tueurs en série ou des brutes pathologiques.

 

Le responsable du transport à la commission scolaire, Luc Harvey, est le premier à admettre que ce n'est pas Beyrouth dans ses autobus.

«Des incidents graves? Non, on a des petits problèmes. Les enfants se chamaillent ou se lèvent. La caméra est un outil pour aider les chauffeurs à assurer la discipline.»

Le cas d'English Montreal n'est pas unique, selon mes collègues Marie Allard et Silvia Galipeau, qui se sont renseignées auprès de 20 commissions scolaires. Résultat: 18 utilisent des caméras au besoin.

Sauf qu'on ne peut pas faire n'importe quoi avec des caméras. Leur utilisation doit être strictement encadrée, a conclu la Commission d'accès à l'information (CAI) en 2004 à la suite d'une consultation publique.

«La surveillance sans motif valable constitue une grave menace à la vie privée, a affirmé le commissaire, Me Michel Laporte. Le désir d'améliorer la sécurité ne doit pas violer le droit à la vie privée des gens, lesquels doivent toujours savoir quand ils sont filmés.»

Les données recueillies peuvent parfois être utilisées à des fins criminelles. À Washington, des caméras balayaient le stationnement d'un bar gai. Un chef de police a utilisé les images pour faire chanter des clients mariés.

La CAI a établi des règles claires: «La vidéosurveillance ne doit pas être utilisée de manière générale comme un dispositif de sécurité publique. (...) L'objectif recherché doit être sérieux et important. La prévention de délits mineurs ou la surveillance de problèmes occasionnels ne peuvent justifier une intrusion dans la vie privée des personnes.»

English Montreal, qui ne dit pas à ses élèves qu'elle les filme, affirme qu'elle connaît les règles de la CAI. Ça ne paraît pas. À moins que les bousculades d'enfants constituent une menace grave, ce dont je doute.

Les commissions scolaires utilisent des moyens disproportionnés pour régler des problèmes de discipline. À quand des caméras dans les classes?

De son côté, la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ) dit n'importe quoi. Son porte-parole a déclaré à mes collègues: «Ce n'est pas une pratique très répandue.» La Fédération ignore ce qui se passe dans sa cour. Pas fort.

L'utilisation de caméras est non seulement répandue, mais aussi abusive. La FCSQ le sait-elle?

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Au lendemain du 11 septembre, plusieurs pays ont tapissé leurs villes de caméras. En Grande-Bretagne, plus de 2,5 millions de caméras ont été installées dans les rues, les magasins, les gares, les métros, les autobus, les hôpitaux, les écoles et les stades. Un Londonien est filmé 300 fois par jour.

Aux États-Unis, des centaines de caméras captent l'image de gens qui se promènent à Manhattan ou à Washington.

Impact sur le taux de criminalité? Pratiquement nul, affirme la CAI. Aucune étude ne prouve l'efficacité des caméras. Pire, elles procurent un faux sentiment de sécurité.

Aux États-Unis, les fusillades dans les écoles n'ont pas diminué, et les caméras ont été incapables d'arrêter les terroristes qui ont fait sauter un édifice à Oklahoma City et les tours du World Trade Center. Au Québec, elles n'ont été d'aucune utilité pour prévenir le vandalisme au sommet des Amériques, en 2001.

Dans certains cas, par contre, elles peuvent donner des résultats. Elles ont permis d'identifier les deux jeunes garçons qui avaient enlevé un enfant de 4 ans, James Bulger, dans un centre commercial de Manchester, en Angleterre. Ils l'ont ensuite assassiné.

Mais les meurtriers ne hantent pas les autobus scolaires du Québec.

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Revenons aux petits problèmes de discipline dans les autobus. Les chauffeurs ne peuvent pas conduire et garder un oeil sur la cinquantaine de jeunes entassés sur les banquettes. Sauf qu'il existe d'autres moyens que les caméras. Pourquoi ne pas embaucher un surveillant qui ferait le tour des autobus à problèmes?

Certaines commissions scolaires gardent la tête froide. La CSDM refuse de succomber à la mode des caméras.

«On ne déplore pas d'incidents qui justifieraient leur utilisation», affirme le porte-parole, Alain Perron. Pourtant, la CSDM est la plus grosse commission scolaire du Québec, celle qui a la réputation d'avoir des écoles rock'n'roll.

Même son de cloche à la commission scolaire des Affluents (Repentigny, Terrebonne...), qui utilise rarement les caméras. «On ne veut pas tomber dans la chasse aux sorcières où tout le monde filme tout le monde», explique le régisseur du transport scolaire, Sylvio Parent.

Ceux qui utilisent les caméras se justifient en invoquant les parents qui refusent d'admettre que leur enfant est turbulent, les chauffeurs qui ont peur de punir un élève de crainte d'être poursuivis et les élèves frondeurs qui n'ont pas peur de l'autorité.

Ils ont besoin de preuves, disent-ils. Pour punir.

Mais ce n'est pas à Big Brother de faire le travail. Que les commissions scolaires se prennent en main et arrêtent de s'écraser devant les élèves et les parents trop revendicateurs.