«Excusez-moi, est-ce que je peux vous parler?»

Dans le train de banlieue qui filait, jeudi, vers Deux-Montagnes, les passagers avaient besoin de se défouler. Je me promenais dans le wagon, calepin en main, pour prendre le pouls des banlieusards qui, tous les jours, font l'aller-retour sur la ligne Montréal-Deux-Montagnes.

Les gens m'arrêtaient pour me parler de leurs frustrations: retards chroniques, service pourri, manque de place. Janvier a été terrible et février s'annonce chaotique.

 

Et ils me donnaient volontiers leurs noms: Jocelyne Leroux, Marc Beauvais, Martine Lebel, France Nadeau, Lorraine Boucher, Danielle Lang, France Pietrocatelli. «En un mot, Pietrocatelli», a précisé la dame.

Il faisait chaud, la ventilation ne fonctionnait pas. Le train, qui a quitté Montréal à 16h50, était bondé. Chaud et bondé. Un sauna ambulant.

Ils en avaient gros sur le coeur, les passagers. Ils en ont jusque-là de s'entasser dans des wagons archipleins et de grelotter à -20 en attendant un train qui n'arrive pas.

Et les rabais annoncés par le président de l'Agence métropolitaine de transport (AMT), Joël Gauthier, pour calmer la grogne, suscitent le scepticisme. «Ils vont les récupérer en augmentant les tarifs l'année prochaine», a lancé Frédéric Brunet.

«Ils augmentent les prix quand ils ne font rien, alors imaginez quand ils font quelque chose», a ironisé Lorraine Boucher.

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Qu'est-ce qui ne tourne pas rond?

Beaucoup de choses.

Les trains de banlieue ont été lancés par accident: une mesure temporaire pour régler un problème de circulation provoqué par des travaux. La mesure temporaire a connu un succès foudroyant. Elle est donc devenue permanente.

Les lignes se sont multipliées: Montréal-Blainville-Saint-Jérôme, Montréal-Mont-Saint-Hilaire, Montréal-Delson-Candiac...

Les trains ont connu une croissance phénoménale de 120% au cours des 10 dernières années. «En 2006, Montréal se classait sixième en Amérique du Nord pour l'achalandage après New York, Chicago, Boston, Philadelphie et Toronto», précise Joël Gauthier.

Mais le développement s'est fait à la va-comme-je-te-pousse, dans le plus pur style broche-à-foin. L'AMT était condamnée à construire son réseau «avec une claque et une bottine», pour reprendre l'expression de Joël Gauthier.

Les infrastructures sont désuètes, le matériel roulant est usé jusqu'à la corde et la signalisation date de la Deuxième Guerre mondiale. Dans certains endroits, il n'y a qu'une voie. Si le train tombe en panne, la ligne est paralysée.

Sur ce réseau essoufflé qui croule sous la demande s'ajoutent les commandes politiques. Celle de la ministre des Transports, Julie Boulet, en juin, et celle de Jean Charest en novembre.

En juin, devant la flambée des prix de l'essence, la ministre Boulet a demandé à l'AMT d'augmenter le nombre de départs pour inciter les gens à troquer leur voiture contre le train.

Le nombre de départs par semaine est donc passé de 600 à 676 sur les cinq lignes, une hausse de plus de 10%. Entrée en vigueur: 12 janvier. C'est là que tout a dérapé. Trop de pression sur un réseau à bout de souffle.

En novembre, en pleine campagne électorale, le premier ministre Jean Charest en a remis en promettant d'ajouter 230 départs additionnels par semaine, une hausse de 35%.

À ce rythme-là, le réseau va disjoncter.

Du matériel neuf a été commandé, mais les nouveaux wagons ne seront pas prêts avant l'automne 2009.

«Environ 50% de nos problèmes vont se régler d'ici 18 mois», promet Joël Gauthier.

Dix-huit mois. Vous avez bien lu. C'est long. Patience, patience.

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J'ai pris le train la semaine dernière, moi, la 514 finie qui prend à peine 20 minutes pour aller au travail en vélo.

Je me suis payé une expérience «extrême»: me lever aux aurores, louer une auto, me taper le trajet Montréal-Deux-Montagnes en filant d'autoroute en autoroute, me trouver une place dans le stationnement incitatif qui jouxte la gare.

«Arrive avant 7h», m'a prévenue une collègue qui vit en banlieue. Merci pour le conseil. Je suis arrivée à 6h50 et j'ai pris une des dernières places.

J'ai traversé l'immense stationnement pour me rendre au quai sous les lourdes gouttes de pluie. J'ai attendu le train, puis je me suis entassée dans un wagon. J'ai fait le trajet jusqu'à Montréal debout, enroulée dans mon manteau mouillé. Quarante-cinq minutes. Et après, je me suis tapé le métro.

Même manège au retour avec, en prime, un embouteillage pour sortir du stationnement.

Ma conclusion: les banlieusards sont drôlement patients. Et ils devront l'être encore.

> Demain: L'AMT peut-elle bosser tout le monde?

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