Dans la foulée de la visite de Barack Obama à Ottawa et du déploiement de 1400 soldats québécois à Kandahar à partir du 1er mars, Michèle Ouimet, qui est allée cinq fois en Afghanistan, fait le point sur la guerre. Voici la première de trois chroniques.

Mercredi 11 février, 10h05, cinq kamikazes armés jusqu'aux dents entrent dans le bâtiment abritant le ministère de la Justice à Kaboul. L'un d'eux a une ceinture bourrée d'explosifs autour de la taille.

 

Les kamikazes se baladent dans l'édifice et tirent à vue. Les employés, terrifiés, se barricadent dans leurs locaux. Au moins 10 personnes tombent sous les balles.

À l'autre bout de la ville, deux kamikazes font irruption dans un bâtiment de l'administration pénitentiaire. Ils tirent sur les gardes, puis se font exploser. Même scénario au ministère de l'Éducation.

Bilan: 20 morts, 57 blessés.

Les attentats ont été revendiqués par les talibans qui ont précisé que huit autres kamikazes se promenaient librement dans Kaboul, prêts à frapper.

Ces attaques spectaculaires au coeur de la capitale afghane montrent à quel point les talibans s'enhardissent. Et à quel point, aussi, la guerre est entrée dans une spirale de violence. En 2008, le nombre de morts, civils et militaires, a grimpé en flèche et Kaboul est devenue la ville de tous les dangers.

Fini l'époque où Kaboul était relativement épargnée par la guerre. Les attentats suicide se multiplient. Les enlèvements aussi, créant une psychose chez les étrangers. Il y en aurait eu 500 au cours des deux dernières années.

Les talibans sont aux portes de Kaboul. C'est d'ailleurs en banlieue de la capitale que la journaliste canadienne Melissa Fung a été kidnappée, puis jetée dans un trou pendant un mois.

Kaboul va-t-elle tomber aux mains des talibans? Non, car la ville est protégée par les troupes de l'OTAN, répond un spécialiste de la question afghane, le Dr Antonio Giustozzi, chercheur au Crisis States Research, un centre attaché à la London School of Economics.

Je l'ai joint chez lui, à Londres. Dans deux semaines, il sera en Afghanistan pour un court séjour, mais, a-t-il précisé, «je vais éviter le sud». Trop dangereux.

«Les talibans n'ont pas les ressources militaires pour affronter directement les soldats étrangers, croit-il. C'est une guérilla. Par contre, ils déstabilisent la ville en utilisant des kamikazes et en assassinant des gens connus. Ils organisent aussi des attaques sur les autoroutes qui relient Kaboul au reste du pays. Environ 65% du pays est sous l'influence des talibans.»

Depuis 2005, la violence a augmenté de 550%. Selon l'ONU, la moitié du pays est classé extremely risky. En 2008, l'Afghanistan a détrôné l'Irak: plus de morts, plus de violence.

En février, l'envoyé spécial du président Obama en Afghanistan et au Pakistan, Richard Holbrooke, a prévenu ses alliés: la guerre sera beaucoup plus difficile qu'en Irak.

Quelques mois plus tôt, en octobre, le chef de l'armée britannique en Afghanistan, le général Mark Carleton-Smith, a dit ce que tout le monde pense tout bas: «Nous n'allons pas gagner cette guerre.»

Le gouvernement afghan est à court de passeports parce que trop d'Afghans fuient le pays. Un sauve-qui-peut qui en dit long sur le pessimisme de la population.

Le président Barack Obama a promis d'envoyer davantage de soldats. Pour lui, la lutte contre le terrorisme passe par l'Afghanistan et le Pakistan. Obama délaisse le champ de bataille irakien pour regarnir le front afghan. Il aimerait bien que le Canada prolonge sa mission au-delà de 2011.

Et le président Hamid Karzaï dans tout ça? Il en arrache.

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Depuis la chute des talibans en 2001, Hamid Karzaï a été le fidèle allié des Américains qui ont fermé les yeux sur la corruption qui gangrène son gouvernement.

Mais cette époque achève. En 2008, le sénateur américain Joseph Biden a rencontré Hamid Karzaï à Kaboul. Entre l'agneau et le riz, il lui a posé des questions sur la corruption, raconte le New York Times. Exaspéré par les réponses évasives de Karzaï, Biden s'est levé et a quitté la pièce en coup de vent, une insulte dans un pays où le décorum est quasiment aussi important que la religion.

Aujourd'hui, Joseph Biden est vice-président des États-Unis.

Autre affront, Barack Obama n'a même pas appelé le président Karzaï depuis son arrivée à la Maison-Blanche.

Karzaï dévore les journaux occidentaux. Il est très sensible aux critiques. Depuis un an, elles s'accumulent, écorchant son ego.

Au début du mois, le nouveau directeur du renseignement américain, Dennis Blair, a tapé sur les doigts de Karzaï, l'accusant de diriger un gouvernement rongé par la corruption, une corruption, a-t-il précisé, qui dépasse «le seuil culturellement acceptable».

Isolé et critiqué, Karzaï a décidé de se rapprocher des Russes. Quelle ironie. C'est à cause d'eux si l'Afghanistan, jadis prospère, a basculé dans le chaos. En 1979, les soldats de l'armée rouge ont envahi le pays. Dix ans plus tard, ils battaient en retraite dans la honte. Ils ont été incapables de dompter cette contrée rebelle. Comme les Britanniques qui, avant eux, s'y sont cassé les dents.

En août, Karzaï devra faire face à l'électorat. Comment organiser des élections justes et démocratiques dans un pays miné par la violence? Encore un mirage des Occidentaux qui s'obstinent à implanter une démocratie dans un pays mené depuis toujours par des tribus?

Courriel Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca

 

En chiffres

Civils

Nombre de civils tués en 2007: 1523

En 2008: 2188

Hausse: 39%

Soldats

Nombre de soldats américains envoyés en renfort d'ici la fin de l'été: 17 000

Nombre actuel de soldats américains: 38 000

Nombre de soldats canadiens: 2700

Nombre de Québécois déployés à Kandahar à partir de mars: entre 1400 et 1450

Nombre actuel de soldats de la force internationale: 70 000