Personne ne veut parler du CUSM, le Centre hospitalier de l'Université McGill, le clone anglophone du CHUM. Ni le CUSM ni l'Université. Refus poli, mais catégorique.

«Tout va très bien, nous n'avons rien à ajouter. Thank you for your call», m'a répondu la responsable des relations publiques du CUSM, Diane Feagan.

Réponse plus frileuse à l'Université McGill:

- Appelez le CUSM, s'est-on contenté de me dire.

- C'est fait, ai-je répondu, mais je veux aussi parler à un responsable de l'Université. Après tout, c'est un peu VOTRE hôpital qui va être construit puisque c'est là que VOS élèves vont être formés et que VOS chercheurs vont travailler.

- Appelez le CUSM.

- Mais je ne veux pas parler de la peste ou du choléra, seulement du centre universitaire. Pourquoi ce refus?

- Appelez le CUSM.

Dois-je préciser qu'on parle d'argent public, plus d'un milliard. De quel droit le CUSM et l'Université McGill rejettent-ils toute demande d'entrevue?

Tout va bien, m'a répété Mme Feagan.

Tout va bien? Pas sûr.

«Les anglophones se chicanent, mais ils ne se déchirent pas sur la place publique», explique Ekram Rabbat, président de la Fondation du CHUM.

«Ils ont leurs batailles internes», confirme le président de la Fédération des médecins spécialistes, Gaétan Barrette.

Les anglophones lavent leur linge sale entre eux. De nombreuses tensions couvent sous la surface étale du CUSM, mais les médias francophones en parlent peu. Et quand ils veulent en parler, le CUSM leur ferme la porte au nez. Don't call us we'll call you.

Les tensions existent depuis le début, rappelle Jean Rochon qui a été ministre de la Santé de 1994 à 1998.

«Les anglophones avaient des discussions musclées, dit-il, mais ils gardaient ça entre eux. Le Montreal Children Hospital, par exemple, opposait beaucoup de résistance. Par contre, ils avaient du leadership.»

Leadership. Les anglophones en ont à revendre, pas les francophones. Au contraire. Le CHUM n'a pas de directeur général depuis neuf mois. Le Centre de recherche, lui, n'a pas eu de patron pendant un an. Renversant.

Le CHUM vit une période délicate de son histoire et il n'y a personne pour diriger ce gigantesque paquebot qui va coûter près de deux milliards. Il n'y a pas de capitaine à la barre, mais les politiciens, eux, ne se gênent pas pour mettre leurs doigts dans tous les chaudrons.

Même s'il a connu son lot de tensions, le CUSM avance plus vite que le CHUM. Les francophones ont longtemps agonisé sur le choix du site qui a changé trois fois de place.

Les anglophones, eux, ont toujours eu un site, la gare Glen, un terrain vague. Pendant que les anglophones bâtissaient patiemment leur hôpital, les francophones se roulaient dans un interminable psychodrame géographique.

Parlons d'argent maintenant. Le gouvernement a demandé à chacun des hôpitaux d'amasser 200 millions auprès du privé. Grosse commande. Les anglophones ont une longue tradition philanthropique. La fondation de l'Université McGill, par exemple, avait 920 millions dans sa cagnotte en juin 2008, alors que l'Université de Montréal n'en avait que 142,5.

Deux corporations privées peuvent facilement verser 35 millions au CSUM. Pour amasser la même somme, les francophones doivent se fixer un objectif de 3,5 millions échelonné sur 10 ans. Deux mondes.

Les chicanes autour du CHUM nuisent. «Les hommes d'affaires me disent : «Boucle ton projet, lève ta première pelletée de terre et après, on va donner», raconte Ekram Rabbat. La controverse fait mal. Ils ne veulent pas associer leur nom à un projet qui peut foirer.»

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Pourquoi deux hôpitaux universitaires, alors que les grandes villes en ont un seul?

La réponse simple et évidente: parce que Montréal est Montréal, une ville où cohabitent deux cultures, deux traditions, deux réalités, francophone et anglophone. On ne peut pas nier notre histoire.

Montréal a deux facultés de médecine, trois facultés de droit et de génie, deux réseaux d'hôpitaux, quatre quotidiens. Un reflet de sa diversité linguistique.

«Un Martien dirait, ça prend un seul hôpital, explique le Dr Gaétan Barrette. Sauf qu'on a deux cultures. De plus, McGill et l'Université de Montréal ne pratiquent pas la médecine de la même façon.»

«Si on construit un seul centre universitaire, qui va diriger, les francophones ou les anglophones? demande le Dr Paul Perrotte, président du puissant Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens du CHUM. Comment intégrer des équipes qui ont des cultures différentes?»

Bref, qui va avaler qui? Délicate question quand on connaît la fragilité du consensus linguistique dans l'île de Montréal. Il n'y a pas un politicien sain d'esprit prêt à ouvrir ce débat.

Donc deux hôpitaux. C'est le prix à payer pour la richesse culturelle de Montréal. Le CUSM sera prêt quelques années avant le CHUM, mais le projet sera moins ambitieux : 500 lits et 21 salles d'opération à la gare Glen, 772 lits et 43 salles au 1000, Saint-Denis, en plein coeur du centre-ville.

Les anglophones vont être écartelés entre trois sites (Glen, General Hospital et l'Institut neurologique), les francophones, eux, seront regroupés sur un seul.

«McGill trouve ça trop petit, affirme le Dr Barrette. Les médecins sont malheureux.»

Conclusion: Everything is not fine.