L'ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal, Frank Zampino, a finalement admis, jeudi, avoir voyagé sur le yacht du promoteur Tony Accurso, alors que la Ville se préparait à signer le plus important contrat de son histoire avec le consortium GéniEAU, codirigé par M. Accurso. Deux semaines plus tôt, M. Zampino avait indiqué à La Presse que tout ça relevait du «domaine privé». Le maire Gérald Tremblay assure que l'octroi du contrat «s'est fait dans les règles de l'art». Mais cette affaire soulève de nombreuses questions, selon nos chroniqueurs Michèle Ouimet et Yves Boisvert.

Lorsque le maire de Montréal a convoqué les journalistes jeudi dernier pour réagir aux voyages controversés de son ex-bras droit Frank Zampino, il a dit: «Je veux vous parler d'éthique et d'intégrité.»

 

Très bien, M. Tremblay, parlons-en.

Prenons la définition du mot éthique dans Le Petit Robert: science de la morale, art de diriger la conduite.

Question: Avez-vous dirigé la conduite de Frank Zampino lorsqu'il a décidé de prendre des vacances sur le yacht de Tony Accurso en janvier 2007 et en février 2008?

Vacances drôlement embarrassantes puisque le consortium GéniEAU, dans lequel M. Accurso est impliqué par le biais d'une de ses entreprises, venait de se qualifier pour essayer de rafler le plus important contrat que la Ville ait accordé, soit 355 millions pour l'installation de compteurs d'eau.

M. Zampino veillait sur ce dossier comme une poule sur ses oeufs. Il était présent lorsque le comité exécutif a décidé d'octroyer le contrat à GéniEAU. Il ne s'est pas retiré, même si M. Accurso était un bon ami qu'il connaissait depuis 25 ans. Et cinq jours plus tard, M. Zampino a appuyé la résolution au conseil municipal qui confirmait l'attribution du contrat à GéniEAU.

C'était en novembre 2007. M. Zampino a voyagé sur le luxueux yacht de M. Accurso avant (janvier 2007) et après (février 2008) la réunion du comité exécutif et le vote au conseil municipal.

Frank Zampino a démissionné en juillet 2008. Six mois plus tard, il devenait vice-président de Dessau... qui fait partie du consortium GéniEAU.

Alors M. Tremblay, avez-vous dirigé M. Zampino dans ce parcours pour le moins étonnant? Vous avez répondu à cette question jeudi lors du point de presse. Non seulement vous n'avez rien dirigé, mais vous n'étiez même pas au courant des voyages.

C'est tout de même un peu gros, non?

Frank Zampino était président du comité exécutif, VOTRE comité exécutif, depuis des années et vous ne saviez pas qu'il avait voyagé deux fois sur le yacht de M. Accurso?

Comment pouvez-vous ignorer à ce point ce qui se passe dans votre entourage? Et il n'y a pas que Frank Zampino qui était impliqué dans la nébuleuse de cet énorme contrat de compteurs d'eau. Robert Abdallah, ex-directeur général de la Ville, VOTRE ex-directeur général, dirige depuis novembre 2008 une filiale de l'entreprise Simard-Beaudry, la société Gastier. Simard-Beaudry fait partie du consortium GéniEAU.

Ce n'est pas tout. Yves Provost, haut fonctionnaire responsable du dossier de l'eau à la Ville, VOTRE Ville, a été embauché en décembre 2007 par la firme d'ingénieurs BPR qui a rédigé l'appel d'offres pour le juteux contrat des compteurs d'eau.

Interrogé jeudi sur cette Sainte-Trinité de l'eau - Zampino, Abdallah et Provost -, vous avez répondu que vous n'aviez pas l'intention de partager vos états d'âme.

Mais partagez, M. le maire, partagez! Êtes-vous gêné, offusqué, scandalisé? C'est vrai, j'oubliais, vous n'aimez pas les formules fortes. Concernant les voyages de M. Zampino, vous avez aimablement protesté.

«M. Zampino n'a pas pris la bonne décision, avez-vous dit. Moi, je n'y serais pas allé (sur le yacht) parce que ça peut donner des impressions, des perceptions ou des apparences de conflit d'intérêts.»

Ouf! Quelle fermeté, quelle poigne.

Vous tombez des nues. Comme si votre ignorance lavait votre administration de tout soupçon et vous plongeait dans un état de grâce proche de la vertu. C'est trop facile.

Vous êtes responsable de votre équipe, que cela vous plaise ou non. Ça s'appelle la responsabilisation. Vous avez utilisé la même défense cousue de fil blanc dans le dossier de la SHDM, une paramunicipale. Vous avez protesté: mon administration est blanche comme neige. Pourtant, des gens de votre entourage avaient manoeuvré pour transformer la SHDM en organisme privé et des transactions douteuses avaient alors été bouclées.

Vous avez utilisé les mêmes mots: «Je n'accepterai pas qu'on mette en doute l'intégrité de mon administration!»

Des mots. Trop de mots. Vous vous en lavez les mains. Tout est beau, ce n'est pas moi, je le jure. Assez Ponce Pilate, merci. Avez-vous songé à vous acheter un petit lavabo que vous pourriez attacher à votre ceinture? Lorsqu'un dossier embarrassant atterrirait sur votre bureau, vous pourriez tout de suite vous en laver les mains. Pratique. GéniEAU pourrait vous arranger ça, non?

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Parlons maintenant des règles d'éthique qui gouvernent les villes. Eh monsieur, ce n'est pas fort! Si un élu est en conflit d'intérêts jusqu'aux oreilles, il n'a qu'à se retirer lorsque son dossier est discuté. Il est automatiquement blanchi. Propre-propre-propre. C'est ridicule, pour ne pas dire pathétique. Des petites règles d'éthique pour de grandes villes.

Le ministère des Affaires municipales affirme que l'éthique n'est pas sa priorité, mais plutôt l'économie. Comme s'il était incapable de mener de front ces deux dossiers. Avec la crise, les gouvernements s'apprêtent à investir des sommes colossales dans les infrastructures. Investir = contrats.

C'est le temps d'établir des règles d'éthique claires et strictes. Mais en attendant que le Ministère bouge, ce qui risque d'être aussi long que la construction du CHUM, le maire devrait agir et demander au vérificateur général d'enquêter sur l'octroi du contrat à GéniEAU.

Une façon de prouver qu'il n'est pas aussi Ponce Pilate qu'on le pense.

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