École publique Louis-Joseph-Papineau, quartier Saint-Michel dans le nord de Montréal. Beaucoup d'immigrants, de classes d'accueil et de groupes de cheminement particulier. Nombre d'élèves en difficulté: 40%. Taux de décrochage: 58%.

15h55, la cloche sonne. Les élèves de Christine Laniesse ferment leurs livres et les rangent en vitesse dans leur sac à dos. En deux minutes, la classe se vide.

Mme Laniesse a 19 élèves. Ils éprouvent tous de graves problèmes d'apprentissage ou de comportement. Dix-neuf élèves, 19 petites bombes qui demandent une attention soutenue, un encadrement serré. Mme Laniesse enseigne plusieurs matières et elle passe la journée avec eux.

Sa tâche va au-delà des leçons de français ou d'anglais. «Je m'occupe de leurs bobos de l'âme, dit-elle. Je dois jouer au travailleur social, au docteur, au papa et à la maman. Ils ont tellement de lacunes! Le soir, je suis épuisée.»

Ses collègues arrivent dans sa classe, un à un, curieux de rencontrer la journaliste qui passe quelques jours dans leur école, avides de parler de leur travail qui les passionne, de leurs élèves qui en arrachent.

«C'est nous, les fous du cheminement particulier!» lance un prof en entrant dans la classe.

Il faut en effet être un peu fou pour enseigner au cheminement particulier, pour tenir à bout de bras ces jeunes qui veulent apprendre, mais qui rament parce qu'ils sont dyslexiques, poqués, maganés, hyperactifs, terriblement en retard dans leur cheminement scolaire ou simplement ingérables.

Ces profs débordés, ces fous du cheminement particulier, doivent relever un nouveau défi depuis quelques années: la réforme.

«La pédagogie par projets, c'est beau, mais ça ne fonctionne pas avec nos élèves, explique Christine Laniesse. Ils ne sont pas assez autonomes et ils ont des trous énormes dans leur formation. Ils ne savent pas lire, écrire, raisonner. La réforme n'est pas adaptée pour eux et les examens sont trop durs.»

Autre handicap: les élèves de Louis-Joseph-Papineau (LJP) ne sont pas riches. Au palmarès de la pauvreté, Louis-Joseph-Papineau se classe 5e sur les 90 écoles secondaires de l'île de Montréal, la première étant la plus pauvre.

Un élève qui fréquente une école publique nantie a une fois et demie plus de chances d'obtenir son diplôme qu'un élève d'une école défavorisée. Et si l'élève va au privé, il a six fois plus de chances qu'un jeune d'une école pauvre.

La barre est haute pour les jeunes de LJP.

«Si seulement on avait moins d'élèves dans nos classes», soupire Christine Laniesse.

Les fous du cheminement particulier de Louis-Joseph-Papineau aimeraient bien que la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, passe une semaine dans leur classe. Avec leurs élèves, les décrocheurs de demain. Pas une heure ou deux vite-vite coincée entre deux rendez-vous et suivie par une armée de relationnistes et de journalistes. Non, non, une semaine, une vraie, sur le plancher des vaches.

Et si jamais la ministre a faim pendant les cours, qu'elle ne s'inquiète pas, les enseignants ont toujours de la nourriture cachée dans une armoire au fond de leur classe. Ils l'achètent avec leur argent. Quand un élève a trop faim, ils lui glissent discrètement un peu de bouffe.

***

Parlons maintenant du rapport Ménard* sur le décrochage, un document de 70 pages lancé en grande pompe en mars et encensé par le gouvernement.

«Je n'ai pas appris grand-chose», laisse tomber Diane De Courcy, présidente de la CSDM, la plus grosse commission scolaire au Québec. Même réaction mitigée du directeur général de la Commission scolaire English Montreal, Antonio Lacroce.

Il n'y a effectivement pas grand-chose de nouveau dans ce document, sauf les exemples de réussite de lutte contre le décrochage dans certaines villes comme Toronto et Philadelphie. Une bonne idée.

Mais le reste? Un copier-coller de statistiques glanées dans les différentes études publiées sur le décrochage. Non seulement n'y a-t-il rien de neuf dans ce ramassis de chiffres archi-connus, mais le groupe Ménard oublie des données fondamentales : l'écart ahurissant entre les garçons et les filles, la présence de l'école privée qui vampirise le public et fait exploser ses taux de décrochage et la réalité socio-économique - riches et pauvres - qui a une incidence majeure sur les taux de décrochage. On finit sagement son secondaire dans une institution privée de Westmount, mais on décroche à pleines portes à Pierre-Dupuy, une école publique du Centre-Sud.

Le rapport Ménard a été écrit par des gérants d'estrade qui se permettent de faire la leçon. Le ton des recommandations est hérissant. Faites ceci et faites cela, des millions par ci et des millions par là, et bonsoir la visite!

Le décrochage est plus compliqué, n'en déplaise à l'homme d'affaires Jacques Ménard, qui a eu l'idée de pondre ce rapport. Comment réagirait-il si Diane De Courcy écrivait un document pour lui expliquer comment mener son institution financière?

La ministre Courchesne était tout ébaudie devant le rapport. Le premier ministre Charest aussi. Le gouvernement va encore une fois jeter des millions dans le trou sans fond du décrochage sans d'abord faire le ménage dans tous les programmes qui se sont empilés pendant des années.

Ça sent la bureaucratie et les compétences transversales. Si on pouvait décrocher transversalement, je suis convaincue que les fonctionnaires s'empresseraient de pondre un programme.

Mme Courchesne a été invitée par les enseignants de Louis-Joseph-Papineau. Une occasion en or pour elle de sortir de son bureau et de se frotter à la réalité toute nue.

Mme Courchesne, l'invitation est lancée. À vous d'y répondre. Oserez-vous?

*Savoir pour pouvoir : Entreprendre un chantier national pour la persévérance scolaire. Rapport du Groupe d'action sur la persévérance et la réussite scolaires au Québec, mars 2009.