Ça faisait au moins 10 ans que je n'avais pas fait le Tour de l'île. La dernière fois, c'était avec mon père. Il avait près de 80 ans et il roulait droit comme un I sur son vélo. On pouvait le repérer des kilomètres à la ronde. Il partait, les cheveux au vent, en donnant de vigoureux coups de pédale.

J'étais inquiète. Je ne voulais pas le perdre de vue au milieu de la foule, d'autant plus que c'était moi qui transportais les sandwichs. Je me sentais comme une mère pour mon père.

 

En 25 ans, j'ai dû faire le Tour de l'île une douzaine de fois. Toujours avec mon père et ma fille. Mon père qui filait droit devant, ma fille qui roulait sagement à côté de moi. Certaines années, mes soeurs se joignaient à nous. Leurs enfants venaient parfois. On roulait en tribu. Pour moi, le Tour de l'île, c'était une histoire de famille.

IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII

Hier matin, le temps était magnifique. Pas trop chaud ni trop froid, un soleil timide dans un ciel sans nuage. Une brise nous fouettait le visage à l'aller et nous poussait dans le dos au retour. Un Tour de l'île avec une petite laine sur le dos.

Cette année, j'ai roulé en tribu, mais sans mes soeurs et mon père. Une autre tribu: ma fille, mon gendre, un copain, mon chum, le père de ma fille.

Je n'étais pas la seule. Il y avait beaucoup de familles, d'enfants, de pères qui tiraient leur bébé dans une remorque accrochée à leur vélo. Des groupes d'amis, aussi, avec des fleurs, des ballons ou des toutous accrochés à leur casque pour se retrouver au milieu de la foule. Des jeunes, des vieux et même des femmes avec leur chien solidement attaché dans un siège de bébé ou un panier.

Il y a quelque chose de grisant à rouler sans arrêt, brûler des feux rouges, se répandre sur le boulevard Saint-Laurent ou dans la rue Wellington, prendre toute la place, traverser Montréal et ses arrondissements, Côte-des-Neiges, Rosemont, LaSalle, Verdun, longer les eaux tumultueuses du fleuve, découvrir des rues bordées d'arbres avec de grandes maisons unifamiliales ou des rues nues avec des triplex cordés serré, entendre les encouragements des Montréalais, qui crient ou font jouer de la musique à tue-tête sur leur pelouse. Et se dire: maudit que c'est beau, Montréal! Même avec ses bouts laids. Une laideur émouvante.

Pourtant, on n'a pas roulé dans des quartiers riches ou dans des rues bordées de maisons de millionnaires entourées de grands jardins. Un jour, peut-être.

Pendant quelques minutes, j'ai pédalé à côté d'un Américain. C'était sa première visite à Montréal. Courte, à peine quelques jours, le temps de faire le Tour la nuit et le Tour de l'île avec des amis. «Montreal is great!» a-t-il lancé, enthousiaste, entre deux coups de pédale.

Il y a eu quelques accidents. Rien de grave, affirment les organisateurs du Tour de l'île. Et deux ou trois embouteillages. Il a parfois fallu mettre pied à terre et marcher à côté de nos vélos parce que la foule était trop dense.

Le Tour de l'île est une grosse machine: un parcours de 52 km, 2600 bénévoles, une soixantaine d'employés, 35 000 cyclistes, trois relais dans des parcs, un spectacle de Daniel Bélanger au fil d'arrivée, dans le parc Jeanne-Mance, en face de la montagne.

J'ai eu une pensée pieuse pour tous les automobilistes coincés dans les bouchons. Le Tour de l'île n'arrive qu'une fois par année. Merci pour votre patience.

IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII

J'ai beaucoup pensé à mon père, hier. Il a toujours son vélo. L'année dernière, il a fait une sortie, une quinzaine de kilomètres, puis il a remisé sa bicyclette.

- Et cette année?

- J'ai gonflé mes pneus, j'ai fait le tour du bloc, puis j'ai serré mon vélo.

- T'as pensé faire le Tour de l'île?

- J'aurais aimé ça, mais je pense que j'aurais manqué d'huile.

- L'année prochaine, peut-être?

- Peut-être, mais faudrait que je pratique.

Alors pratique, papa, pratique.

Courriel Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca