En février 1998, huit mois avant les élections municipales, l'ex-chef de police Jacques Duchesneau décide de se présenter comme candidat à la mairie de Montréal. Le lancement de sa campagne est spectaculaire: 2000 personnes, incluant une bonne partie du gratin montréalais, se réunissent dans l'immense salle de la gare Windsor.

Il est le sauveur, celui qui va battre Pierre Bourque, le maire dont plus personne ne veut, le maire honni, éclaboussé par des scandales et dont le taux de popularité chute à une vitesse vertigineuse.

 

Pourtant, huit mois plus tard, Pierre Bourque fait élire 39 des 51 conseillers. Une étonnante résurrection. Jacques Duchesneau, lui, frôle la catastrophe. Seulement trois candidats échappent au désastre. La défaite est brutale, humiliante.

La semaine dernière, l'ex-ministre des Affaires municipales, Louise Harel, a décidé de plonger et de briguer les suffrages à la mairie. Elle se présente contre Gérald Tremblay, un maire affaibli par des scandales. Elle aussi veut sauver Montréal.

Jacques Duchesneau est sceptique. «En 1998, j'ai été un sauveur, m'a-t-il confié. Aujourd'hui, je n'y crois plus.»

Jacques Duchesneau donne très peu d'entrevues. «Je ne cherche pas la célébrité, je ne veux pas que mon nom se retrouve dans les journaux», se défend-il.

Mais parfois, c'est plus fort que lui. Certains sujets le touchent. En avril, il a donné une entrevue à mon collègue Yves Boisvert. Il voulait dénoncer la corruption qui règne à Montréal. Je lui ai parlé vendredi. Il en a rajouté une couche. Cette fois-ci, il vise Louise Harel.

«Un des problèmes à Montréal, c'est la corruption, a-t-il expliqué. J'ai parlé à un ancien ministre des Transports qui m'a dit: «On savait qu'on payait 15% de trop à Montréal. Quand on analysait les contrats, on se disait: Ben voyons, c'est trop cher!» Mme Harel a été ministre des Affaires municipales. Qu'a-t-elle fait pour lutter contre la corruption qui existe depuis 25 ans? Rien. A-t-elle fait de l'aveuglement volontaire? Et si elle est élue maire, que fera-t-elle pour combattre la corruption?»

En 1998, Jacques Duchesneau a tenté de dénoncer la corruption. Il a frappé un mur. «J'ai rencontré du monde qui me disait: «Je fabrique des lampadaires, mais je suis incapable de les vendre à Montréal parce que je ne fais pas partie de la clique.» J'en ai parlé, mais ça n'intéressait pas les gens. Pour être élu, il faut faire rêver. Ça, Louise Harel est capable de le faire.»

Jacques Duchesneau ne s'arrête pas là dans ses critiques. Il se pose des questions sur les sympathies syndicales de Louise Harel. «Les syndicats font la pluie et le beau temps à Montréal. Va-t-elle les confronter? Je ne crois pas.»

Il met aussi en doute sa conversion subite à Vision Montréal. «Elle a trouvé une locomotive qui va l'amener à la mairie, mais quel est le programme de Vision Montréal?»

«Au provincial, les projets de loi sont scrutés pendant des jours dans des commissions parlementaires. Au municipal, c'est action réaction, ça se fait au ras des pâquerettes. Louise Harel amènerait une expérience bureaucratique. Montréal n'a pas besoin de ça.»

Jacques Duchesneau a renoncé à la politique. Pas question de se lancer de nouveau dans la course. «Le soir des élections, mon fils m'a dit: «Papa, on a perdu.» Je lui ai dit: «Non, on ne s'est pas fait élire, ce n'est pas la même chose.» J'ai toujours pensé que ma deuxième carrière serait politique, mais ce n'était pas fait pour moi. Je n'ai pas la couenne assez dure. En 1998, je voulais changer le monde. J'étais naïf.»

«Depuis que je suis jeune, je crois qu'il faut dire la vérité, toute la vérité, mais les gens n'en ont rien à foutre de la vérité, ils veulent rêver. Je ne dis pas que les politiciens mentent, mais ils ont une façon de dire les choses pour qu'elles paraissent acceptables.»

«En 1998, je voulais faire le ménage, mais je l'ai dit trop vite. J'ai fait peur à du monde. La gangrène ne touche pas seulement les politiciens, mais aussi les fonctionnaires qui donnent des contrats et se paient la traite. J'ai hâte de voir ce que Louise Harel va faire pour changer cette culture.»

Moi aussi.

 

Photo: André Pichette, La Presse

Jacques Duchesneau: «En 1998, j'ai été un sauveur, m'a confié Jacques Duchesneau. Aujourd'hui, je n'y crois plus.»