L'heure était grave. Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, avait la mine basse, le ton grave.

Hier, pendant qu'il annonçait qu'il venait de congédier son directeur général, Claude Léger, et son directeur des affaires corporatives, Robert Cassius de Linval, des élus, membres de son parti, regardaient la scène, agglutinés sur le pas de la porte. Ils n'osaient pas entrer dans la pièce où s'entassaient une trentaine de journalistes et une quinzaine de caméras de télévision.Comme s'ils sentaient que c'était la fin d'une époque.

Ou la fin du règne de Gérald Tremblay.

Le maire a aussi annoncé l'annulation du contrat des compteurs d'eau. Contrat par qui le scandale est arrivé. Mais ce n'est pas parce qu'il a donné un bon coup de balai à l'hôtel de ville que la question de la corruption est réglée.

Il faut revenir sur la saga du contrat des compteurs d'eau pour saisir l'énormité de la chose. Et l'incompétence de Gérald Tremblay qui n'a rien vu. Encore. Non seulement lui, mais aussi pratiquement toute son équipe qui siège au comité exécutif.

Tous aveugles. Pendant que les Montréalais se faisaient arracher le portefeuille avec ce projet mégalomane de 618 millions, Gérald Tremblay et son équipe dormaient sur leurs deux oreilles, incapables de voir que ça grenouillait autour d'eux.

Pourtant, ce ne sont pas les cris d'alarme qui ont manqué.

Aveugles et sourds.

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Hier matin, le vérificateur général, Jacques Bergeron, a rencontré les médias. Il a décortiqué son rapport point par point. C'était renversant.

Bergeron assénait les coups un à un: trop vite, trop gros, trop cher, élus tenus à l'écart, nombreuses irrégularités, dossier remis à la Sûreté du Québec, gestion déficiente, projet dont les coûts ont enflé, passant de 32 millions à 356 millions, puis à 618 millions.

Car le projet a été "dénaturé" en cours de route, a expliqué le vérificateur. D'où l'explosion des coûts. Au début, la Ville voulait tout simplement installer des compteurs d'eau dans les commerces, les industries et les résidences de plus de 12 logis. Coût de la facture: 32 millions.

Mais le projet a dérapé et la Ville s'est retrouvée avec un contrat plaqué or, une Cadillac de luxe, en ajoutant un volet: un système sophistiqué qui mesure la pression de l'eau et nécessite 600 chambres de vanne. Tout ça pour savoir où les tuyaux fuient.

Un contrat, donc, qui dépasse les 618 millions et qui ne générera que 20 millions d'économies par année.

Au coeur du dérapage, des hauts fonctionnaires qui jouaient dans le dos du maire et des élus.

Pourtant, il y a eu des cris d'alarme. Des rapports déposés par la firme Pricewaterhouse qui soulignaient d'importantes anomalies: attention, attention, danger de collusion!

Le directeur responsable de l'eau, Réjean Lévesque, a aussi alerté ses patrons: niveau de risque et coûts trop élevés. Il mettait le doigt sur des bobos: service des finances écarté, contentieux ignoré, processus décisionnel bâclé...

Et qu'ont fait les élus? Rien. Qu'a fait le maire? Rien. On ne le savait pas, plaide-t-il. Un péché d'ignorance inacceptable en politique.

C'était le plus gros contrat de l'histoire de la Ville, il traînait dans le décor depuis cinq ans, des gens ont tiré sur la clochette d'alarme et le maire ne savait rien?

Son président du comité exécutif, Frank Zampino, a voyagé sur le bateau de Tony Accurso, propriétaire d'une des firmes du consortium GÉNIeau qui a décroché le contrat des compteurs d'eau. Grave? Non. Le maire a continué de défendre l'indéfendable.

Frank Zampino a quitté la Ville et il a été embauché par Dessau, l'autre firme qui forme GÉNIeau. Tout va bien, nous a dit le maire. Contrat nickel.

Il a fallu que le vérificateur lui mette le nez dans la magouille pour qu'il réagisse. Trop tard, le dommage était fait.

* * *

Le maire n'a aucun contrôle sur la Ville et la machine administrative. Y a-t-il d'autres GÉNIeau? Gérald Tremblay n'en a aucune idée. Et son équipe non plus. Le départ de Claude Léger et Robert Cassius de Linval suffira-t-il pour nettoyer la baraque? Était-ce l'affaire d'un petit groupe qui faisait à sa tête en bulldozant le processus décisionnel ou le malaise est-il plus profond?

Les hommes partent, mais le système reste?

Le problème, c'est que le maire est incapable de répondre à ces questions.

Une exception, les compteurs d'eau? Non. Que dire du scandale de la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM) où des terrains ont été bradés? Même si le vérificateur a déposé, en avril, un rapport accablant qui n'en finissait plus d'énumérer les horreurs entourant la SHDM, le maire n'a congédié personne. Le dossier a plutôt été remis à la police. Encore.

Sauf qu'aujourd'hui, le maire est coincé. Les Montréalais vont voter le 1er novembre et l'histoire est trop grosse pour être balayée sous le tapis en brandissant des promesses sur l'adoption d'un code d'éthique viril.

Une chose est certaine, Gérald Tremblay n'a plus une once de crédibilité pour diriger Montréal.

Le sait-il, lui qui ne sait jamais rien?