Hier matin, Louise Harel est arrivée scrupuleusement à l'heure, accompagnée par une conseillère en communications et une relationniste.

Elle a déposé son grand sac à main par terre, sorti son sourire le plus enjôleur et accepté un verre d'eau. «Pas de café, merci», a-t-elle susurré.

 

C'était au tour de Louise Harel, chef de Vision Montréal, d'accepter l'invitation de La Presse. La veille, Richard Bergeron avait croisé le fer pendant une heure avec plusieurs journalistes. Le chef de Projet Montréal était seul, lui.

Et Gérald Tremblay? Mystère. Il a été invité, mais il fait la sourde oreille. Pourtant, les rencontres «éditoriales» sont une tradition sacro-sainte. Au fédéral, au provincial et au municipal, les chefs acceptent de rencontrer les journalistes de La Presse pendant les campagnes électorales. Lucien Bouchard, Bernard Landry, Jean Charest, Pauline Marois, Jack Layton, Gilles Duceppe ont tous accepté de se plier à cet exercice exigeant.

Gérald Tremblay? On attend sa réponse. Son équipe réfléchit, suppute, soupèse, évalue, calcule, hésite. Le maire ne boude pas seulement La Presse. The Gazette et Le Devoir attendent aussi sa réponse. Louise Harel et Richard Bergeron ont accepté sans faire de chichis. Eux.

Dimanche, Gérald Tremblay va se jeter dans les bras de Guy A. Lepage à Tout le monde en parle. Tiens, tiens. A-t-il peur des questions des journalistes de la presse écrite qui ont mené des enquêtes sur son administration? Peur des scandales qui ont terni sa réputation? Si c'est le cas, ce n'est pas très courageux de sa part.

Louise Harel, elle, a le courage d'affronter l'équipe de la Gazette même si son anglais est boiteux, pour ne pas dire inexistant.

La relation de Louise Harel avec la langue de Shakespeare est douloureuse. Elle a pris des tonnes de cours et effectué des séjours d'un mois en Angleterre et à Vancouver; elle a bûché, bûché et bûché, mais dès qu'un micro se braque sous son nez, elle fige.

«J'ai peur de faire des erreurs, a-t-elle confié, hier. Pas de grammaire, mais politiques.»

- Si vous êtes élue, comment allez-vous tendre la main aux Anglais qui vous détestent et vous dépeignent comme une sorcière?

- J'ai des candidats anglophones, a-t-elle répondu.

L'entrevue a vite glissé sur les structures, les fameuses structures bancales de Montréal. C'est pour corriger l'orgie de structures qui afflige la Ville que Louise Harel a décidé de se lancer en politique municipale.

Elle veut casser l'arrogance des arrondissements qui se comportent comme des villes, en étant dirigés par des maires élus au suffrage universel et dotés de pouvoirs démesurés: droit de créer des taxes, d'emprunter, etc.

Elle veut leur arracher des compétences - comme l'urbanisme et le développement économique - qui reviendront dans le giron de la ville centre. Les arrondissements s'occuperont des services de proximité: piscines, bibliothèques, terrains de tennis, arénas, équipements locaux.

Louise Harel préconise une approche douce. Pas question de partir en guerre et de lancer Montréal dans un déchirant débat de structures. Elle apportera les changements qui relèvent de sa compétence. Pour le reste, elle discutera avec Québec.

Bref, un ménage dont Montréal a cruellement besoin. Un bon point.

Par contre, ses grands projets sentent le réchauffé: recouvrement de l'autoroute Ville-Marie, navette ferroviaire entre le centre-ville et l'aéroport... Sans oublier la marotte de Benoit Labonté, son bras droit: une exposition universelle en 2020. «Un levier de revitalisation urbaine», a dit Mme Harel, les yeux brillants.

Plutôt un projet risqué qui sent les boules à mites. Hier, l'architecte Phyllis Lambert a déclaré, avec raison, que les expositions universelles étaient dépassées. Une «idée du XIXe siècle».

Pourtant, c'est l'idée phare de l'équipe Harel-Labonté.

* * *

Louise Harel a répondu avec une habileté diabolique à des questions délicates sur les accommodements raisonnables et le CHUM. Derrière l'image de la grand-mère à la voix douce se cache une redoutable politicienne qui a 27 ans d'expérience.

Pendant une heure et demie, elle n'a fait aucune gaffe, aucune déclaration intempestive. Elle a répondu longuement aux questions, avec des détours habiles, s'embrouillant parfois dans les détails. Et elle a réussi à ne pas répondre aux questions embêtantes. Mine de rien.

À la fin de l'entrevue, elle a ramassé son gros sac à main, serré les mains et jeté un dernier sourire enjôleur avant de quitter la pièce.