J'ai été éclaboussé, je vais éclabousser les autres.

C'est, en gros, ce que Benoit Labonté s'est dit. Une belle vengeance. Pourtant, lorsqu'il était le bras droit de Louise Harel, il s'est bien gardé de dénoncer ce système qui l'avait si bien servi.

Hier, dans une entrevue-fleuve accordée à Radio-Canada, Benoit Labonté s'est vidé le coeur. Il ne s'est pas enfargé dans la langue de bois pour qualifier la corruption à Montréal: cancer avec multiples métastases, gangrène, système mafieux. Et pas juste à Montréal, a-t-il ajouté, mais aussi «autour du gouvernement du Québec».

 

Le financement des partis politiques? «Un système épouvantablement hypocrite», que personne ne respecte.

Lorsque Louise Harel l'a congédié dimanche parce qu'il avait menti en jurant qu'il ne connaissait pas l'homme d'affaires Tony Accurso, personne ne se doutait qu'il contre-attaquerait avec une telle virulence.

Est-ce que Benoit Labonté ment lorsqu'il déballe les sales secrets de l'administration Tremblay? Peut-être. Hier, il a admis qu'il avait menti à propos du tout-puissant Tony Accurso.

Par contre, il connaît la politique municipale. Il a été membre du comité exécutif, donc au coeur du pouvoir. Il a quitté le parti du maire en 2007, en claquant la porte, et il est devenu chef de Vision Montréal, poste qu'il a cédé en juin à Louise Harel. Il a aussi été maire de l'arrondissement de Ville-Marie. Il en connaît un rayon sur les enveloppes brunes.

Sa pièce de résistance dans ce grand déballage de linge sale: les ristournes à l'hôtel de ville de Montréal.

Au coeur du système: Bernard Trépanier, directeur du financement pour Union Montréal, le parti du maire, de 2004 à 2006. Son surnom: M. 3%.

«Ce serait lui qui exige 3% de la valeur des contrats (accordés à des entrepreneurs) pour les remettre au parti du maire Tremblay ou à des individus», a dit Benoit Labonté.

Des fonctionnaires et des élus se remplissent les poches en prélevant une partie de ce 3%, a-t-il ajouté.

«Qui? a demandé la journaliste de Radio-Canada.

Je ne peux pas vous donner de noms, je vais me faire poursuivre.

Ils touchent des montants importants?

Ça peut varier selon l'ampleur du contrat.

Sous quelle forme?

Un voyage en Italie payé à un haut fonctionnaire qui donne des contrats, de l'argent ou des cadeaux. (...) Je vous relate ce qui circule en ville et que personne n'ose dire à visage découvert.»

Bernard Trépanier s'occuperait toujours de financement à Union Montréal, a précisé Benoit Labonté.

Il croit que le maire était au courant. «Tu sais, Benoit, en politique municipale, à Montréal, c'est juste de ça», lui aurait-il répondu lorsqu'il lui a parlé de Bernard Trépanier.

Gérald Tremblay était-il au courant des activités de Bernard Trépanier? Savait-il que des enveloppes bourrées d'argent circulaient dans les couloirs de l'hôtel de ville, que des hauts fonctionnaires et des élus s'en mettaient plein les poches?

Ou plutôt, pouvait-il ne pas savoir, lui, le grand patron de cette Ville pendant huit ans?

* * *

À une semaine du scrutin, le maire doit faire face à des accusations dévastatrices. On ne parle pas d'un scandale, mais d'un système qui pourrit tout.

L'administration Tremblay a connu son lot de scandales: SHDM, compteurs d'eau... Mais avec les révélations de Benoit Labonté, on tombe dans un autre univers, celui de la collusion, du crime organisé, du financement illégal, des hauts fonctionnaires et des élus complices qui ne se cachent même plus pour encaisser leur ristourne.

Comment le maire pourra-t-il se regarder dans le miroir après de telles révélations?

Son discours a changé au fil des mois. Au début, il répétait ad nauseam: je ne savais rien, je ne savais rien, je le jure.

En juin, changement de cap. «Ça fait des années que la corruption existe dans le monde municipal et l'industrie de la construction, a-t-il dit. C'est de notoriété publique que des enveloppes brunes passent de main à main.» Mais pas à Montréal, a-t-il pris soin d'ajouter.

Hier, au Devoir, nouveau discours. En 2001, à son arrivée au pouvoir, un haut fonctionnaire lui a dit que des enveloppes brunes circulaient à l'hôtel de ville. «Il y a un certain nombre d'entrepreneurs qui se partagent des contrats et des territoires», a dit le maire.

Donc, il sait depuis huit ans!

Pourquoi cette déclaration au Devoir? Avait-il peur, à la veille des déclarations fracassantes de Benoit Labonté, de passer pour un naïf? Ou pour un incompétent qui ignore les énormités qui lui passent sous le nez?

Hier soir, à 21h, re-changement de cap lors d'un point de presse organisé après la diffusion de l'entrevue de Benoit Labonté à Radio-Canada. Ses certitudes du matin s'étaient tout à coup transformées en rumeurs. «J'ai déjà vérifié ces ouï-dire et il n'y a aucun fondement», a dit le maire.

Elles existent ou elles n'existent pas, ces enveloppes brunes? Vous saviez ou vous ne saviez pas, M. le maire? Branchez-vous. Choisissez votre version: le grand naïf qui ne savait rien ou le bon gars qui a essayé de faire le ménage?

* * *

La Presse a obtenu des extraits de conversations téléphoniques. On y apprend les liens tricotés serré entre Frank Zampino, l'ancien président du comité exécutif, et Bernard Trépanier. On entend Zampino intervenir pour que son frère obtienne un bon prix pour un terrain et des hommes d'affaires rire du maire.

Gérald Tremblay n'a pas encore accepté de rencontrer La Presse pour la traditionnelle «entrevue éditoriale» parce qu'il a posé une condition: qu'il n'y ait aucune question sur les conversations téléphoniques.

La Presse a refusé.

En posant cette condition, le maire avoue que ces extraits lui font mal. Et qu'ils sont crédibles.

* * *

Comment réagiront les Montréalais devant cette avalanche de révélations? Aucune idée.

Une chose est certaine, ils devront se poser une question avant de tracer leur X sur leur bulletin de vote: Gérald Tremblay a-t-il encore l'autorité morale pour diriger cette ville?

La réponse est évidente.

Non.