Gérald Tremblay affirme que l'ancien haut fonctionnaire André Delisle l'a averti, dès 2003, que l'embauche du directeur général Robert Abdallah soulevait de sérieuses questions. Le maire affirme qu'il en a pris bonne note. La Presse a joint André Delisle samedi. Sa version contredit celle du maire. C'était par ailleurs jour de vote par anticipation, hier. Des milliers de Montréalais se sont ainsi rendus aux urnes, en beaucoup plus grand nombre qu'il y a quatre ans. Quant aux trois principaux candidats à la mairie, ils ont exprimé leur désir d'aborder d'autres thèmes que celui de l'éthique pendant la dernière semaine de la campagne électorale.

C'est le maire Gérald Tremblay qui nous a dit d'appeler André Delisle.

J'ai viré la ville à l'envers pour trouver le numéro de téléphone cellulaire de cet ancien haut fonctionnaire de la Ville de Montréal. Vendredi, le maire Gérald Tremblay a brandi son nom plusieurs fois pour prouver qu'il avait tout mis en oeuvre pour faire le ménage dans son administration.

 

Quand j'ai appelé André Delisle samedi matin, il jouait au golf à Bromont et il n'avait pas encore lu La Presse.

S'il l'avait lue, il aurait compris que le maire se servait de son nom pour prouver qu'il luttait contre la corruption à l'hôtel de ville.

Début 2003, André Delisle était directeur général par intérim. La Ville se cherchait un nouveau DG pour remplacer Guy Coulombe qui venait de partir.

Lorsque le maire a choisi Robert Abdallah quelques mois plus tard, André Delisle l'a mis en garde contre les méthodes particulières de cet ingénieur qui avait travaillé pendant 27 ans à Hydro-Québec.

- Et que vous a-t-il dit sur ces méthodes particulières? a demandé ma collègue Katia Gagnon au maire, vendredi.

Gérald Tremblay a observé un long silence, puis il a dit que M. Delisle avait décidé de quitter la Ville à cause de l'arrivée de Robert Abdallah.

Lui avez-vous demandé pourquoi?

- Oui.

- Ça vous a alerté?

- La réponse, c'est oui.

- Que vous a dit André Delisle?

- Appelez-le, a répondu le maire.

André Delisle, donc, jouait au golf samedi matin quand je l'ai joint. Je l'ai rappelé vers 17h15, chez lui, à Montréal. Il venait de lire La Presse. Sa version est différente de celle du maire. Voici ce qu'il m'a raconté.

Février 2003.

«Un soir, je rentrais chez moi et Frank Zampino (le directeur du comité exécutif qui a été éclaboussé par le scandale des compteurs d'eau) m'a appelé pour me dire qu'il avait choisi le nouveau directeur général: Robert Abdallah.»

«Je lui ai demandé: «Avez-vous fait votre due diligence (c'est-à-dire toutes les vérifications nécessaires)? « Il m'a répondu: «Oui, oui.»»

«Le lendemain, j'ai été convoqué au bureau du maire. Gérald Tremblay et Frank Zampino étaient présents. Le maire m'a confirmé qu'il avait embauché Robert Abdallah. J'ai de nouveau posé ma question: «Avez-vous fait votre due diligence? « Il m'a répondu: «Oui, tout est beau.»»

«J'ai regardé Gérald Tremblay et je lui ai dit: «Dans ce cas, je démissionne sur-le-champ, il est hors de question que je travaille avec Robert Abdallah! « «Très bien», a dit le maire. Il ne m'a posé aucune question - Frank Zampino, non plus d'ailleurs - , mais son langage non-verbal était éloquent. Il était très surpris et contrarié.»

«Deux ans et demi plus tard, Gérald Tremblay m'a appelé pour me parler de Robert Abdallah. Il m'a dit qu'il faisait une enquête. Je lui ai raconté ce que je savais.»

André Delisle connaissait bien Robert Abdallah. Tous deux ont travaillé pendant de longues années à Hydro-Québec avant de se retrouver à la Ville.

En mai 2006, trois ans après son embauche, Robert Abdallah est parti dans des circonstances obscures. Une démission surprise. En novembre 2008, il a été nommé à la tête d'une filiale de Simard-Beaudry, la société Gastier. Simard-Beaudry appartient à Tony Accurso, l'homme au yacht qui a décroché le controversé contrat des compteurs d'eau.

André Delisle n'a pas voulu me parler des méthodes particulières de Robert Abdallah ni des raisons qui ont motivé son refus catégorique de travailler avec lui.

«On ne joue pas avec les réputations, a-t-il tranché. Je n'avais pas les moyens de vérifier certaines choses. C'est très, très délicat. En plus, je suis avocat. J'ai donné des noms au maire pour qu'il fasse des vérifications.»

J'ai insisté. Pourquoi refusiez-vous de travailler avec Robert Abdallah? Les Montréalais ont le droit de savoir. «S'ils veulent connaître la vérité, que le gouvernement mette sur pied une commission d'enquête, a-t-il répondu. Je ne ferai pas le travail à leur place!»

 

* * *

Le maire jure qu'il travaille d'arrache-pied pour faire le ménage depuis son arrivée au pouvoir en 2001. Mais comment peut-il prétendre être propre quand il accepte la démission d'un de ses fonctionnaires les plus respectés sans lui poser une seule question?

Vendredi, Gérald Tremblay a précisé que Robert Abdallah lui avait été recommandé par le président d'Hydro, André Caillé. Samedi, il a répété qu'il avait «toujours eu confiance en André Delisle». Si le maire avait tellement confiance en cet homme qui lui a balancé sa démission parce qu'il refusait de travailler avec Robert Abdallah, pourquoi ne lui a-t-il pas posé une seule et toute petite question: Pourquoi?

André Delisle n'était pas un jeune fonctionnaire sans expérience. Il avait été sous-ministre adjoint responsable des budgets à Québec et vice-président aux finances à Hydro-Québec avant d'atterrir à la Ville.

Selon Guy Coulombe, André Delisle a une feuille de route impeccable. «J'étais très satisfait de son travail, m'a-t-il dit, hier. C'est un homme qui a beaucoup d'envergure intellectuelle.»

Et Guy Coulombe sait juger les hommes. Il a occupé plusieurs postes stratégiques au cours des 40 dernières années: secrétaire du Conseil du Trésor, secrétaire général du Conseil exécutif (il était le patron de tous les fonctionnaires du gouvernement québécois), PDG de la Société générale de financement, PDG d'Hydro-Québec, directeur de la Sûreté du Québec et directeur général de la Ville de Montréal de 1999 à 2002.

Lorsque Guy Coulombe a décidé de partir, la Ville a embauché un consultant pour lui trouver un remplaçant. Trois ou quatre noms ont été proposés, mais aucun n'a été retenu par le maire et Frank Zampino. Guy Coulombe est parti et André Delisle a été nommé par intérim en attendant que la Ville trouve le candidat idéal.

En mars 2003, le nom de Robert Abdallah est arrivé sur le tapis, comme ça, pouf! surgi de nulle part. André Delisle était contre cette nomination, archi contre. Il a mis sa tête sur le billot. Le maire a accepté sa démission sans lui poser l'ombre d'une question.

Si le maire voulait vraiment nettoyer la ville, il aurait dû lui demander: Ah bon, et c'est quoi le problème avec Robert Abdallah?

Non, rien. C'est seulement deux ans et demi plus tard que le maire l'a appelé pour lui demander: Qu'est-ce que tu voulais me dire au juste au sujet de Robert Abdallah?

Guy Coulombe n'en revenait pas. «C'est assez surprenant que Gérald Tremblay n'ait posé aucune question», a-t-il souligné.

Depuis que Benoit Labonté a déballé les sales secrets de l'administration Tremblay à Radio-Canada, le maire se promène partout pour marteler qu'il fait le ménage et qu'il s'y active depuis 2001, c'est-à-dire depuis que Guy Coulombe l'a averti que la Ville était corrompue et que des enveloppes brunes circulaient dans les couloirs de l'hôtel de ville. Il a même lancé une publicité à la radio ou il vante son intégrité.

Sauf qu'encore une fois, les versions divergent.

«Je n'ai pas eu de conversation avec le maire sur la corruption. Si c'était le cas, je m'en souviendrais», a précisé, hier, Guy Coulombe.

Dans le fond, c'est peut-être Benoit Labonté qui a raison lorsqu'il dit que Gérald Tremblay est un faux naïf.

Photo: Archives La Presse

André Delisle, à l'époque où il était directeur général par intérim de la Ville.