Conscient que sa majorité est fragile et que les Montréalais ont été ébranlés par les histoires de corruption qui hantent la Ville, le maire Gérald Tremblay a décidé de frapper un grand coup.

Hier, il a annoncé qu'il gelait la taxe d'eau, suspendait la taxe de la voirie et cessait d'accorder des contrats d'infrastructures aussi longtemps que les rumeurs de corruption subsistaient, revoyait le rôle du privé dans la préparation des appels d'offres et nommait un contrôleur chargé de veiller sur l'attribution des contrats.

 

On sent la main de Québec derrière cette opération nettoyage. Le maire l'a reconnu à mots couverts.

«C'est la volonté de notre administration et du gouvernement, a-t-il précisé. C'est pour ça que nous suspendons les contrats jusqu'à ce qu'on trouve la solution pour assurer qu'il y ait une totale transparence et qu'on obtienne les meilleurs prix.»

Le point de presse a été court: une déclaration du maire en français, suivie de quelques questions. Puis la même chose en anglais. Le maire a refusé de donner des détails. Le tout a été emballé en moins de 20 minutes. Bing, bang, bang, c'était fini.

Comment interpréter le virage intégrité totale de Gérald Tremblay? Ordre de Québec ou entente tacite entre le gouvernement et le maire? Tutelle déguisée? Le maire avait-il le choix? Qui va nommer le contrôleur? Québec ou Montréal? Quelle sera l'étendue de ses pouvoirs?

* * *

Dimanche soir, les résultats étaient encore tout chauds lorsque le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, a sauté sur son téléphone pour appeler Gérald Tremblay. Les deux hommes ont causé contrats et corruption.

Hier, Laurent Lessard a aussi tenu un point de presse. Il a annoncé que les règles d'attribution des contrats allaient être resserrées pour les grandes villes. Montréal, a-t-il ajouté, devra «faire des gestes additionnels».

Peu importe que Québec ait tordu ou non le bras de Montréal, l'important, c'est que des gestes ont été rapidement faits.

Il reste toutefois un immense point d'interrogation: comment le ménage sera-t-il fait et qui va le faire? Comment s'assurer que les contrats seront accordés en toute transparence, sans collusion ni corruption? Comment mettre fin au festival des enveloppes brunes? Et comment retracer les entrepreneurs, les élus et les fonctionnaires complices?

On attend après les enquêtes policières ou Québec finira-t-il par se résigner à créer une commission d'enquête publique? Dans les deux cas, le processus risque de s'étirer sur plusieurs mois, voire quelques années. Et je vous rappelle qu'en attendant, l'attribution de contrats est suspendue.

On ne peut pas accuser Québec et Montréal de traîner les pieds. Le problème, ce n'est pas la volonté, mais la manière.

Dimanche soir, Gérald Tremblay a déclaré: «Les citoyens veulent du changement. Nous incarnons ce changement.»

À peine élu, il a adopté une série de mesures annoncées hier. Mais il reste un test important qui témoignera de sa volonté de changement: la composition de son comité exécutif, l'équivalent du Conseil des ministres.

Y aura-t-il du sang neuf? Est-ce que Sammy Forcillo, dont le nom a été associé à la collusion par Benoit Labonté, aura encore une place de choix? Et qui sera le président de ce puissant comité?

Le maire a perdu quelques vedettes dimanche: André Lavallée, un gros travailleur qui a porté à bout de bras le projet Bixi et le plan de transport, Michel Labrecque, l'homme à vélo promu président de la Société de transport de Montréal, Robert Pilon, un homme respecté dans le milieu culturel.

Diane Lemieux, l'ancienne ministre péquiste qui s'est jointe à Union Montréal l'été dernier, a aussi été battue. Elle avait du coffre, de l'expérience et une feuille de route éthique impeccable. Une lourde perte pour le maire.

La question reste entière: qui dirigera le puissant comité exécutif?

Montréal a aussi besoin d'une solide opposition. Richard Bergeron, le chef de Projet Montréal, a mené une belle bataille. Il est passé de 8,5% des voix en 2005 à 25% dimanche. Il a aussi réussi à prouver que son parti n'était pas un épiphénomène cantonné au Plateau.

Il a quatre ans de combats municipaux à son actif. Sa présence au conseil municipal est essentielle.

La chef de Vision Montréal, Louise Harel, doit rester. C'est une femme honnête et crédible qui en connaît un rayon sur la politique. En septembre, je lui avais parlé à la fin d'un conseil municipal particulièrement musclé auquel elle avait assisté du haut des gradins réservés au public. Elle avait été renversée par la rudesse des élus et le manque de décorum.

Si Louise Harel part, elle laissera un parti en déroute. Un parti qui risque de ne pas survivre au départ de son chef. Elle a recruté quelques candidats de valeur, comme Réal Ménard et Elsie Lefebvre, qui comptent sur elle. Mais est-ce que cette ancienne ministre, qui a déjà été responsable de Montréal, acceptera de se retrouver sur les banquettes de l'opposition d'un conseil municipal? Hum.

Mme Harel a plongé en politique parce qu'elle avait mal à sa ville. Si elle part, on comprendra qu'elle avait surtout mal à sa nostalgie du pouvoir.