Février 2007. Même si c'était la troisième fois que j'allais en Afghanistan, je n'avais jamais voyagé avec l'armée.

Pourquoi? Parce que j'avais peur. Pour être franche, j'étais terrorisée à l'idée d'embarquer dans un blindé et de rouler pendant des heures en me demandant, la peur au ventre, si je n'allais pas sauter sur une mine.

J'avais drôlement raison d'avoir peur. Mercredi, une journaliste du Calgary Herald, Michelle Lang, est morte. Elle voyageait avec l'armée canadienne. Son blindé a sauté sur une bombe artisanale. Il y a eu cinq morts : Michelle Lang et quatre soldats.

C'est la première journaliste canadienne à mourir sur le terrain. Elle avait un fiancé, des amis, un métier qu'elle adorait. Et elle n'avait que 34 ans. C'était son premier voyage en Afghanistan.

Peut-on couvrir une guerre sans voyager avec l'armée? Peut-on comprendre une guerre sans passer quelques jours dans un poste avancé, sans vivre avec des soldats, sans avoir peur avec eux, sans dormir dans un dortoir infesté de souris, sans se réveiller en sursaut plusieurs fois en scrutant l'obscurité, sans patrouiller, sans manger des rations et sans feuilleter la seule revue cochonne de la place?

En février 2007, j'étais convaincue que je devais voyager au moins une fois avec les soldats. Pour comprendre. C'est probablement ce que Michelle Lang s'est dit. Elle n'a pas été chanceuse. Moi si.

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Avant de monter dans le blindé, je me suis posé une question toute bête : est-ce que ça vaut la peine de prendre un tel risque ? Car les blindés sautent avec une terrifiante régularité. En 2009, sur les 32 soldats canadiens morts en Afghanistan, 28 ont sauté sur une bombe artisanale.

Le départ devait avoir lieu à 3 h, en plein milieu de la nuit. J'avais mis mon réveille-matin à 1h. Précaution inutile, je n'ai pas fermé l'oeil. Je n'arrêtais pas de penser à cette foutue boîte de métal dans laquelle je m'apprêtais à embarquer.

Le départ avait lieu sur la grande base militaire de Kandahar où je vivais. Je suis sortie de ma tente à 2 h du matin. La nuit était glaciale, le ciel magnifique : noir profond avec des étoiles d'une netteté surréaliste. J'ai mis mon gilet pare-balles et mon casque, j'ai balancé mon gros sac à dos sur mes épaules et j'ai marché en essayant de ne pas me perdre au milieu des pistes poussiéreuses qui sillonnent la base.

Évidemment, je suis arrivée beaucoup trop tôt. J'ai attendu, debout, dans le froid mordant du désert afghan. Aux premières lueurs de l'aube, un soldat m'a fait signe de monter dans le blindé. Je me suis assise sur un banc en bois, mon sac à dos à mes pieds, tassée contre des soldats. On était huit, en comptant l'interprète afghan. La porte de métal s'est refermée avec un bruit sec. Impossible de voir quoi que ce soit à l'extérieur.

Dans le blindé, personne ne parlait. Je suis convaincue que je n'étais pas la seule à avoir peur.

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Je pose de nouveau la question : est-ce que ça vaut la peine de prendre un tel risque? Peut-on couvrir une guerre sans aller au front avec les soldats? Je l'ignore.

Une chose est certaine, je n'embarquerai plus jamais dans un blindé. Trop dangereux. Je suis journaliste, pas soldat. Je préfère me promener sur les routes du pays, rencontrer des Afghans, raconter leur quotidien, leurs peurs, leurs joies.

Car même s'il y a la guerre, la vie continue. Tous les matins, les hommes ouvrent leurs échoppes et vendent du tissu, de la viande ou du pain. Les gens se marient, les enfants vont à l'école. La vie, quoi. La vie qui est plus forte que la guerre. J'aime mieux raconter la vie. La vie dans un pays en guerre. De toute façon, je ne connais rien à la guerre et aux stratégies militaires.

Quand je me promène en Afghanistan, je porte la burqa. Je déteste ça. Le grillage bouge, je ne vois pas grand-chose, ma vue est obstruée. Mais je préfère ma burqa aux blindés. Une prison qui en vaut une autre.

L'armée, les blindés : non merci. Je n'ai pas le courage des soldats. Ni celui de Michelle Lang.