Grosse controverse autour des écoles juives. La ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, a été maladroite. L'histoire a dérapé.

Je vous rassure: il n'y a aucun complot juif. Que des maladresses et un renversant manque de jugement politique.

En apparence, la modification au régime pédagogique proposée par la ministre Courchesne peut sembler anodine: la présence obligatoire en classe ne se calculera plus en jours, mais en heures. Un élève du primaire et du secondaire devra suivre entre 900 et 1000 heures de cours par année.

Actuellement, la présence obligatoire en classe se compte en jours: entre 180 et 200, du lundi au vendredi, de septembre à juin.

 

La ministre propose de virer ce calendrier à l'envers. Le changement est énorme. L'année scolaire, par exemple, pourrait se dérouler d'octobre à juillet ou se découper en tranches de trois mois intercalés par quatre semaines de vacances. Les classes pourraient aussi se tenir du dimanche au jeudi ou se réduire à quelques mois avec des semaines de 40 heures. Bref, tout est possible si les 900 à 1000 heures obligatoires sont respectées.

Ce bouleversement sans précédent a été décidé sans l'ombre d'un débat. Le projet de règlement est apparu comme un cheveu sur la soupe dans la Gazette officielle du 3 février.

Pourquoi un tel changement qui tombe des nues et que personne ne réclamait? Et pourquoi le concocter en catimini? Pour contrer le décrochage scolaire, a répondu la ministre.

Une réponse qui ne convainc personne. La vraie raison: satisfaire la communauté hassidique, ce que Mme Courchesne a d'abord nié, puis admis du bout des lèvres en parlant «d'effet collatéral».

Si le nouveau calendrier est adopté, les enfants hassidiques pourront fréquenter l'école six jours par semaine, ce qui leur permettra de consacrer des heures à l'étude du Talmud, tout en couvrant le programme du Ministère.

Le but est noble. Mme Courchesne veut remettre neuf écoles juives dans la voie de la légalité. Elle souhaite que les enfants reçoivent un enseignement de qualité et ne passent pas tout leur temps - ou presque - à apprendre le Talmud.

Le hic, c'est la manière: modifier un règlement en douce qui affecte toutes les écoles du Québec pour régler un problème pointu.

La ministre a peut-être eu peur de provoquer une vague de mécontentement en adoptant un règlement conçu uniquement pour les juifs hassidiques. Elle a probablement raison. En cette ère post-commission Bouchard-Taylor, l'humeur des Québécois n'est pas à l'ouverture.

Mme Courchesne a préféré louvoyer. Elle a ouvert une boîte de Pandore. Elle préfère se mettre la tête dans le sable et continuer de parler de lutte contre le décrochage. Mais personne n'est dupe.

Le 29 octobre, lorsque le chef de cabinet de Mme Courchesne a appelé la présidente de la Fédération des commissions scolaires, Josée Bouchard, pour lui dire que le calendrier serait modifié, il n'en avait que pour le décrochage. Pas un mot sur les écoles juives.

Mme Bouchard s'est braquée. Elle lui a parlé de l'immense casse-tête qu'engendrera inévitablement un calendrier à plusieurs vitesses: comment arrimer les services de garde, les activités parascolaires, les autobus, sans oublier les parents qui en ont déjà plein les bras avec une semaine de cinq jours, du lundi au vendredi. Et les syndicats? Comment leur faire avaler la pilule?

«On n'a jamais demandé ça, et on ne voit pas le lien avec le décrochage», m'a dit Mme Bouchard.

Quant au président de la Centrale des syndicats du Québec, Réjean Parent, il n'a pas été mis au parfum. Il l'a appris en même temps que tout le monde.

Lundi, il a croisé la ministre. Il lui a posé des questions. Elle lui a répondu: «Va falloir qu'on se rencontre, Réjean.»

Ça promet.

Mme Courchesne a introduit un changement fondamental sans se soucier des effets pervers.

Elle ouvre la porte au retour tranquille de la religion dans les écoles. Car les musulmans risquent de profiter du nouveau calendrier. Pourquoi s'en priveraient-ils puisqu'ils auront la bénédiction du gouvernement? Ils pourraient, par exemple, fermer les écoles pendant le mois du ramadan ou les vendredis, jour de prière. Et les protestants? Et les catholiques? Vont-ils ouvrir les écoles le dimanche pour donner des cours de religion?

Ce retour de la religion ne touchera que le secteur privé, car la loi est claire: depuis juin 2005, les écoles publiques sont laïques et l'enseignement religieux est banni. Une loi adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. La volonté politique est claire.

Le privé, subventionné à 60% par le gouvernement, pourra profiter du nouveau calendrier pour ramener la religion dans les classes. L'écart entre le privé et le public risque de se creuser. Deux réseaux, deux réalités: un privé religieux et un public laïque.

La ministre a-t-elle pensé à tout cela lorsqu'elle a modifié le calendrier scolaire? Et lorsqu'elle a défendu son projet de règlement devant le Conseil des ministres, a-t-elle mis cartes sur table? A-t-elle précisé qu'elle «accommodait» la communauté juive hassidique? A-t-elle parlé de cette porte ouverte au retour tranquille de la religion?

Et le premier ministre Jean Charest était-il au courant?

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca