La femme expulsée d'un cours de français au cégep Saint-Laurent par le ministère de l'Immigration parce qu'elle refusait d'enlever son niqab, c'est elle. Naema, Québécoise d'origine égyptienne âgée de 29 ans. Elle a brisé le silence hier, au lendemain de la publication par La Presse du récit de l'incident. Pour justifier sa réaction et raconter sa version des faits. Elle se dit humiliée et affirme qu'on a «détruit» ses rêves.

Elle s'est sentie humiliée, rejetée. Elle a pleuré. Beaucoup, longtemps.

Elle, c'est Naema, la Québécoise d'origine égyptienne qui a été expulsée d'un cours de français au cégep Saint-Laurent parce qu'elle a refusé d'enlever son niqab.

 

Une expérience traumatisante. Elle, l'immigrée de fraîche date, expulsée d'un cours, et qui se retrouve à la une des journaux. Elle, la musulmane voilée que tout le monde condamne.

J'ai passé une heure avec Naema, hier. L'entrevue s'est déroulée dans une petite pièce d'un centre communautaire qui jouxte une mosquée dans le nord de la ville.

Naema portait son niqab. Tout son visage était dissimulé sous un voile noir. Seuls ses grands yeux foncés étaient visibles. Elle était avec une amie qui portait un hijab, foulard qui recouvre le front et le cou, et une traductrice. Car le français de Naema est embryonnaire.

En retrait, son mari, Walid. Il parle anglais. Son français, par contre, se limite à quelques balbutiements. Il ne voulait surtout pas intervenir. «C'est son histoire, c'est elle qui va vous la raconter, s'est-il empressé de préciser. Si je parle à sa place, on va m'accuser de la dominer.»

Ils avaient amené leurs enfants, deux garçons de 4 et 5 ans. Le bébé de un an et demi était resté à la maison. Les garçons ont joué tranquillement dans une autre pièce, laissant leurs parents raconter comment leur vie a été bouleversée par un bout de tissu.

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Naema a 29 ans. À 23 ans, elle a troqué son hijab contre un niqab. Pourquoi?

«Je voulais me rapprocher de Dieu et de ma religion. J'ai donc décidé de suivre l'exemple des femmes de mon prophète en portant le niqab. Seuls les hommes de ma famille peuvent voir mon visage. C'est mon choix.»

Naema est pharmacienne, Walid, ingénieur. Il prépare son doctorat en génie électrique et il travaille comme assistant à l'Université Concordia. Naema, elle, reste à la maison. Elle voudrait travailler, mais elle doit d'abord maîtriser le français. Le couple ne roule pas sur l'or.

Êtes-vous très religieuse?

Je suis modérée.

Allez-vous à la mosquée?

Parfois, quand je trouve le temps.

Elle jure qu'aucune association musulmane ne lui a demandé de porter plainte devant la Commission des droits de la personne à la suite de son expulsion. C'est elle qui voulait garder son niqab parce qu'elle refusait que les trois hommes de la classe voient son visage. Personne ne l'a poussée dans le dos, insiste-t-elle, surtout pas son mari qui accepterait volontiers qu'elle laisse tomber le voile.

Son histoire confirme celle de La Presse. C'est le même récit, mais raconté avec les mots de Naema, avec sa sensibilité de croyante. Son côté de la médaille. Son regard, celui d'une musulmane qui refuse d'enlever son niqab devant les hommes.

Pour elle, il n'y a pas de compromis possible. Pour le ministère de l'Immigration non plus. Le Ministère qui s'est mêlé du dossier et qui s'est rendu deux fois au cégep pour rencontrer Naema. Un dossier explosif. Le voile, encore le voile, toujours le voile.

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Le 18 août, Naema se présente à son cours de français pour la première fois.

«La directrice est venue me voir pour me dire: «Si tu ne veux pas montrer ton visage, tu peux t'installer au premier rang. Les autres seront derrière toi. Tu pourras soulever ton voile pour parler à l'enseignante.»»

Naema affirme qu'elle n'a rien demandé.

Les problèmes ont commencé trois semaines plus tard, lors de sa première présentation. Naema a refusé d'enlever son niqab. L'enseignante a proposé que les hommes se mettent face au mur pour qu'ils ne voient pas son visage. Naema a dit non. «Je ne trouvais pas ça poli de leur demander ça», dit-elle.

Elle est finalement restée assise à sa place, sans son niqab, les hommes derrière elle.

En novembre, l'histoire se corse. Les gens du Ministère viennent au cégep deux fois pour parler à Naema.

Pour Naema, l'exercice est humiliant. La deuxième rencontre est particulièrement éprouvante.

«La directrice a cogné très fort à la porte de la classe, raconte-t-elle. Elle m'a demandé de me présenter immédiatement à son bureau. Je lui ai dit que je voulais attendre la fin du cours. Elle a refusé: «Des gens très importants du Ministère sont ici, on ne peut pas les faire attendre!»»

Le directeur général de la francisation au Ministère, Roger Giroux, était présent. Un haut fonctionnaire envoyé sur place pour régler le problème.

«M. Giroux m'a dit que je devais enlever mon niqab en classe. J'ai refusé. Je lui ai expliqué que les hommes ne pouvaient pas voir mon visage. Il a insisté. Je lui ai demandé: «Existe-t-il une loi qui m'oblige à enlever mon voile?»»

Ils ont discuté. M. Giroux n'a pas bougé d'un iota. «Ceux qui vont à Rome vivent comme les Romains», lui a-t-il dit.

Naema, elle, n'a pas cédé un pouce de terrain. «Il m'a donné le choix: j'enlevais mon niqab ou je quittais l'école.»

L'impasse.

Les deux jours suivants, Naema est retournée à l'école. Avec son niqab. Le cégep a durci le ton et exigé qu'elle l'enlève. Des mots durs ont été échangés. L'enseignante a crié, la directrice aussi. Naema a répliqué.

Puis elle a reçu sa lettre d'expulsion. Elle a voulu plaider sa cause auprès de la directrice encore une fois, mais elle était introuvable.

«Je suis revenue en classe et j'ai éclaté en sanglots, dit Naema. Les élèves m'ont entourée. Ils ont compati. Ils ne comprenaient pas pourquoi on me traitait comme ça.»

Elle a ramassé ses cahiers, son sac, son manteau, le coeur chaviré. Elle n'a plus jamais remis les pieds au cégep.

Cette histoire l'a obsédée. «Je me suis sentie tellement humiliée, chassée comme un insecte.»

«Elle pleurait tout le temps, glisse son mari. Elle était dépressive et sous pression.»

Hier, elle s'est vidé le coeur. Elle ne comprend toujours pas pourquoi le cégep l'a expulsée. «Ils ont détruit mes rêves», accuse-t-elle.

Le temps a filé et la vie a tranquillement repris son cours. Naema suit des cours de français à temps partiel et elle veut de nouveau travailler comme pharmacienne.

En niqab.