Habituez-vous tout de suite, le Québec blanc tricoté serré est révolu. Et il le sera encore plus en 2031.

Selon Statistique Canada, le Grand Montréal métropolitain sera de plus en plus bigarré. Le pourcentage des minorités visibles va doubler, passant de 16% de la population totale en 2006 à 31% en 2031.

Et les Arabes rattraperont les Noirs.

Du calme, du calme.

 

En 2006, les Noirs formaient le groupe le plus important parmi les minorités visibles (7,8%), suivis de loin par les Arabes (2,8%). En 2031, le portrait change: les Noirs seront toujours à 7,8%; les Arabes, eux, grimperont à 7,5%.

Du calme, du calme.

Et les musulmans? En 2006, ils étaient 4,2% à Montréal. En 2031, ils seront 11,2% - quasiment le triple.

Du calme.

Il n'y a pas de complot, seulement une réalité démographique. Le taux de fécondité des Arabes est élevé, explique André Lebel, analyste à Statistique Canada. Et leurs enfants auront des enfants.

Si vous paniquez en lisant ces chiffres, méditez ceux des autres villes canadiennes.

Le pourcentage des minorités visibles à Montréal sera de 31% en 2031. À Vancouver: 59%. Toronto: 63%.

Le gouvernement ne peut plus se mettre la tête dans le sable. Des histoires comme celle de l'Égyptienne qui tenait mordicus à porter son niqab dans une classe au cégep Saint-Laurent risquent de se multiplier.

Québec a réagi. La dame devait enlever son niqab ou quitter le cégep. Une fermeté qui surprend. Les politiciens nous avaient habitués à la méthode du balayage sous le tapis. Le psychodrame des accommodements raisonnables les a rattrapés. Les libéraux ne peuvent plus gérer les crises au cas par cas.

* * *

Jean Charest a promis une politique claire. En gros, toute personne devra avoir le visage découvert pour «transiger avec le gouvernement» ou «recevoir des services».

Est-ce que le voile intégral - burqa ou niqab - sera banni des institutions publiques? Lorsqu'une femme franchira le seuil d'un bureau de la Société de l'assurance automobile, d'une université ou d'un hôpital, devra-t-elle enlever son voile?

Au cabinet de la ministre Yolande James, hier, on marchait sur des oeufs. Pas question de mettre les pieds dans le plat en définissant ce que «transiger» ou «recevoir des services» veut dire.

Le gouvernement ratisse-t-il trop large? Oui. Une telle interdiction ne passerait probablement pas le test de la Cour suprême, car il faut de foutues bonnes raisons pour limiter le droit à la liberté de religion. À cause de la charte des droits. Oui, oui, la charte. Que cela nous plaise ou non, le port du voile fait partie de la pratique religieuse de plusieurs musulmanes.

Jean Charest devrait parler à des juristes avant de se lancer dans une politique trop large. Il pourrait aussi lire le tout nouveau livre de Charles Taylor et Jocelyn Maclure sur la laïcité*.

Les deux philosophes décortiquent la notion de laïcité. Être laïc ne signifie pas éliminer tout signe religieux de l'espace public. L'État doit plutôt être neutre et ne favoriser aucune religion.

On cite souvent la France républicaine, qui a banni de ses écoles, en 2004, les signes religieux ostentatoires. Pourtant, soulignent Taylor et Maclure, «l'État français finance les écoles privées religieuses davantage qu'au Québec (85% versus 60%)».

Le Québec favorise une laïcité ouverte où le port du foulard islamique à l'école est accepté et où la liberté religieuse est protégée.

Eh oui, protégée. Et c'est bien ainsi. Je suis athée. Je n'aime pas la religion, je m'en méfie. Vous pouvez difficilement trouver plus athée que moi, sauf que je n'en fais pas une religion.

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Je comprends que le voile intégral fasse peur. Sa charge symbolique est tellement forte. Mais derrière ce voile, il y a des femmes. Que leur arrivera-t-il si le gouvernement bannit la burqa et le niqab de ses bureaux, de ses hôpitaux, de ses universités? La plupart refuseront de dévoiler leur visage. Elles resteront à la maison, seules, isolées.

J'ai rencontré plusieurs femmes voilées au Pakistan, en Afghanistan, en Iran ou en Algérie. Des femmes intelligentes, souvent soumises, parfois battues, mais aussi des femmes fortes, heureuses ou malheureuses, qui détestent le voile ou l'ont choisi.

La réalité de ces femmes est complexe. Qui sommes-nous pour les juger et exiger qu'elles enlèvent leur voile dès qu'elles mettent le pied dans un bureau du gouvernement?

Oui, il faut imposer des limites claires: pas de voile intégral chez les employés de l'État. Mais l'interdiction devrait s'arrêter là.

Ce n'est pas en étant ostracisées que ces femmes s'intégreront.

*Jocelyn Maclure, Charles Taylor. Laïcité et liberté de conscience. Boréal.