Je prends un disque au hasard. Tiens, celui de Duffy. Vous connaissez? Tête blonde, voix fêlée à la Amy Winehouse, Duffy est une petite princesse alterno-pop du pays de Galles. La première fois que je l'ai entendue sur le iPod de mon fils, elle chantait Mercy. J'ai tendu l'oreille et j'ai craqué. Avec sa rythmique lancinante et son soul Motown, à la fois poignante et crue, Mercy est une pure merveille et le genre de chanson dont on devient immédiatement accro. Encore aujourd'hui, dès que je l'entends, j'arrête tout sur-le-champ pour beugler en choeur avec Duffy.

J'aimais tellement cette chanson que je me suis précipitée pour acheter le CD, convaincue que les autres chansons seraient de la même magnifique eau. Erreur. Le reste du CD est constitué de pièces informes, mollassonnes, sans intérêt, affreusement décevantes en comparaison de la puissance de la chanson Mercy. De toute évidence, Duffy et ses producteurs ont mis leur talent uniquement au service de cette chanson, se contentant de faire du remplissage sur le reste du CD. Résultat: une fois de plus, le pauvre consommateur qui a choisi le CD plutôt que le téléchargement à l'unité a payé une glorieuse chanson le prix de 15 médiocres.

 

Stéphane Venne appelle cela une arnaque pure et simple. Cette semaine, l'auteur de chansons à succès a lancé un pavé dans la mare de l'ADISQ en affirmant que le téléchargement tant honni et redouté par l'industrie du disque d'ici n'était pas une calamité. Au contraire. C'était la planche de salut de la chanson.

M. Venne croit en effet que le téléchargement à grande échelle est le traitement de choc dont a besoin une industrie obsolète, qui a profité impunément de la bonne volonté des consommateurs et qui doit maintenant en payer le prix.

Que propose-t-il au juste?

D'arrêter de faire semblant que le CD est le produit de choix de la musique populaire alors que ses ventes sont en chute libre. D'encourager le téléchargement de chansons à l'unité comme au bon vieux temps du 45 tours, ce qui permet au consommateur d'acheter exactement ce qu'il veut entendre et non pas ce qu'on cherche à lui imposer. Vous aimez la chanson Je veux tout d'Ariane Moffatt, mais vous n'avez pas les moyens ou l'envie de vous payer tout son CD? Aucun problème. Achetez-la en ligne et écoutez-la en boucle jusqu'à ce que mort s'ensuive si cela vous chante. Le jour où vous aurez envie d'entendre une autre chanson que celle-là, vous l'achèterez.

«Depuis plus d'une vingtaine d'années, écrivait Venne cette semaine dans un autre journal, le consommateur de chansons est captif d'une situation artificielle, créée par les maisons de disques qui l'obligent à dépenser 15$ pour une douzaine de chansons alors qu'il en voudrait en réalité deux.»

M. Venne compare la situation des consommateurs de musique aux clients d'un restaurant obligés d'acheter tous les plats du menu pour avoir le seul plat qu'il désire. Il veut mettre fin à ce buffet imposé et obligatoire.

Personnellement, en cette veille de gala de l'ADISQ, je trouve que cette idée mérite réflexion surtout en regard du déluge de CD pas toujours renversants qui n'en finit plus de sortir de l'usine musicale québécoise.

Pour une Ariane Moffatt ou un Pierre Lapointe, combien d'amateurs sans talent et sans personnalité nous sont offerts en pure perte sur la plaque tournante des CD?

Combien de chansons sans intérêt et mal foutues sont gravées tout simplement pour remplir des plages de plastique et de métal, et mousser les ventes des maisons de disques?

En même temps, et c'est l'aspect le plus dangereux de la proposition de Venne, comment faire émerger le vrai talent à travers une seule chanson achetée en ligne?

Si, par exemple, le téléchargement avait été prédominant au moment où Ariane Moffatt a fait son entrée sur la scène musicale il y a quelques années, nous n'aurions découvert cette artiste qu'à travers une seule chanson. Libérés de l'obligation d'acheter tout le CD, nous serions peut-être passés à côté d'un premier opus exceptionnel, témoin vibrant de l'univers musical de Moffatt.

Idem pour le premier CD de Pierre Lapointe et pour ceux de quantité d'auteurs-compositeurs-interprètes de la relève qui vont émerger demain grâce à la cohérence et à l'originalité du premier bouquet de chansons qu'ils offriront sur leur premier CD.

Stéphane Venne ne prône pas l'extermination pure et simple du CD. Seulement la fin de l'achat obligatoire, remplacé par un achat d'exception et au mérite.

Autant dire que Stéphane Venne ne se fera pas beaucoup d'amis au gala de l'ADISQ demain. Dommage, car le téléchargement est là pour rester. Un jour, il risque de devenir la seule solution pour sauver notre chanson.