Peu avant minuit, lorsque Barack Obama s'est avancé sur le long ruban bleu de la scène nue, érigée au milieu de Grant Park à Chicago, il n'était déjà plus le même homme. Il était déjà le président. Le premier président noir des États-Unis.

Un événement aussi historique commandait une musique de circonstance, sinon la diffusion en boucle de chouettes chansons qui ont été inspirées par Obama tout au long de sa formidable campagne. Je pense entre autres à Better Way de Ben Harper, à Ready to Believe de Cherish Alexander ou mieux encore, à Yes We Can, le slogan de Obama repris par le rappeur Will.i.am.

 

Et pourtant, pendant la majeure partie de la soirée à Grant Park, la seule musique qu'on pouvait entendre sur toutes les chaînes de télé, était le grondement de la foule massée au pied de la scène et attendant fébrilement les résultats. Ce n'était pas un hasard. Obama et les organisateurs avaient tenu à ce que cette soirée unique soit placée sous le signe de la sobriété, sans musique ni alcool. Dans la victoire comme la défaite, on ne voulait pas que la foule perde la tête.

Quand le nouveau président des États-Unis s'est avancé sur scène en tenant la main de ses petites filles, sa bien-aimée pas loin, encore une fois, pas une seule note de musique n'a résonné dans l'air doux de cette nuit étoilée et magique.

Il a fallu attendre la fin d'un discours sobre, inspirant et émouvant à l'extrême, pour que s'élèvent les premières notes instrumentales d'une pièce musicale et classique dont j'ai cherché en vain le titre. Il ne s'agissait pas du thème musical de la campagne d'Obama comme l'ont prétendu certains blogueurs. Il s'agissait d'une pièce sérieuse choisie expressément pour l'occasion: une pièce présidentielle.

En écoutant cette musique grave et solennelle s'élever au-dessus de la scène austère et hérissée de parois pare-balles en plexiglas, je n'ai pas pu m'empêcher de revenir 16 ans en arrière, le soir de l'élection de Bill Clinton. Le contraste est frappant.

Ce soir là, tandis que Clinton devenait le premier baby-boomer à accéder à la présidence, c'est une toune des années 70, Don't Stop (Thinking About Tomorrow), le tube de Fleetwood Mac qui a joué en boucle sur la scène illuminée de Little Rock en Arkansas pendant que des millions de ballons tombaient du ciel.

L'heure était à la fête, à l'euphorie et au rock'n'roll comme musique, comme culture et comme mode de vie. À un point tel qu'à 1h du matin, une fois le discours du président, mais aussi de son colistier Al Gore, livrés, applaudis et digérés, la bande à Bill, refusait toujours d'aller se coucher, s'éternisant sur scène en ondulant collectivement des hanches au son de Fleetwood Mac.

Quel contraste avec la musique solennelle de Grant Park et avec un Barack Obama qui a fait quelques tours de piste sobres et sans effusion, avant de s'éclipser au bout de 10 minutes.

Quelqu'un a écrit que l'élection de ce premier président né après le baby-boom venait de sonner la fin des années 60. Et peut-être aussi faut-il ajouter, la fin de la récréation.

En 1992, je m'étais émerveillé du fait qu'avec Clinton, le rock'n'roll entrait à la Maison-Blanche. Je croyais naïvement que cette musique ouvrirait la voie à un réel changement. Mais en fin de compte, s'il y a une musique qui a résonné à la Maison-Blanche sous Clinton, c'est surtout la musique de la déception.

Quelque chose me dit qu'avec Obama, ce nouveau président issu d'une autre génération et d'une autre culture que celle héritée des années 60, ce sera une tout autre chanson. Le party est fini. Place au vrai changement.