J'ai longtemps fait le même cauchemar. Ça se passait dans un théâtre. Au lever du rideau, j'entrais en scène, j'ouvrais la bouche pour livrer ma première réplique et puis, subitement, devant la salle bondée, je figeais comme une statue de sel en me rendant compte avec effroi que j'avais oublié mon texte. Tout mon texte. Immanquablement, je me réveillais en sueurs, le coeur battant mais soulagée de constater que ce n'était qu'un rêve, un mauvais rêve.

Malheureusement, ce mauvais rêve va devenir réalité demain alors que je vais m'avancer sur la scène du Rideau Vert en compagnie d'une dizaine de mes consoeurs journalistes, animatrices et chanteuses, pour la lecture publique et un brin chaotique des Belles-soeurs de Michel Tremblay.

 

C'est Monique Giroux, alias Germaine Lauzon, la colleuse de timbres en chef, qui a eu cette idée de fou à la fin de l'été pour souligner les 40 ans de cette pièce phare et pour amasser des sous pour le Théâtre du Rideau Vert.

Objectivement, c'était une excellente idée. Mais ce que je n'arrive toujours pas à comprendre, c'est pourquoi lorsque le téléphone a sonné, me proposant de me joindre à Louise Beaudoin, Liza Frulla, Ariane Moffatt, Isabelle Maréchal, Dominique Poirier, Suzanne Lévesque et compagnie, j'ai dit oui tout de suite. Oui, sans y réfléchir. Oui, aucun problème, ça va me faire plaisir. Oui, j'ai toujours rêvé d'être dirigée par Denise Filiatrault. Oui, ça va être le fun.

Le fun??? Dès la première lecture autour de la table, sous les néons crus de l'École nationale, j'ai compris, que dis-je, nous avons compris que nous n'étions pas des comédiennes, que ça prenait beaucoup de talent, de patience et de courage pour être ce que nous n'étions pas et que nous avions été bien téméraires de nous embarquer dans une telle galère.

En même temps, ce premier plongeon dans un classique que je croyais connaître par coeur alors qu'il n'en était rien, avait quelque chose de... jouissif? Oui, le mot est juste. Je ne pense pas trahir la pensée de mes camarades en affirmant que ce contact physique et visuel avec le texte de Tremblay, l'apprivoisement lent et patient de nos personnages, le spectacle inspirant de Filiatrault, cheveux hirsutes, baguettes en l'air, se démenant comme une démone pour nous ramener au coeur du texte et dans la justesse de l'émotion, tout cela a été un vrai bonheur et une réelle découverte théâtrale. Et que dire de la camaraderie qui s'est installée spontanément entre les belles-soeurs, un peu comme si la panique devant la difficulté de la tâche avait soudé notre solidarité malgré l'univers compétitif dans lequel nous évoluons et les entreprises concurrentes qui nous emploient.

Bref, d'un côté, je ne regrette pas une seconde d'avoir «scrappé» tous mes lundis soir depuis un mois à lire, relire et approfondir le texte de Tremblay. Pas plus que je ne regrette d'avoir hérité du rôle d'Yvette Longpré, une idiote finie, un abîme d'insignifiance.

D'un côté, j'ai été charmée et sincèrement touchée par cette aventure. Mais de l'autre, plus le moment fatidique de la première de nos deux prestations approche, et plus je suis terrorisée à l'idée de perdre tous mes moyens et de me transformer en statue de sel sur scène. Les filles ont beau essayer de me rassurer (et de se rassurer elles-mêmes par la même occasion), la peur de se couvrir de ridicule est plus forte que tout. Mais tant pis, il est trop tard pour reculer. Si jamais une d'entre nous s'évanouit sur scène, appelez l'ambulance. Sinon, amusez-vous. Vous avez même le droit de rire de nous. Mais pas trop fort quand même. Quant à moi, il se peut que je meure demain au Rideau Vert. Mais sachant que j'ai essayé de dompter ma grande peur, je mourrai en paix.