À un jet de pierre du musée et de la brasserie Heineken, au 70, Gerard Doustraat, une petite rue branchée d'Amsterdam, je suis tombée nez à nez avec un portrait du maire Jean Drapeau la semaine dernière. Le portrait était peint en noir sur une façade, tout en noir elle aussi, sur laquelle j'ai reconnu des dessins du Bonhomme Carnaval, de joueurs de hockey, d'une fleur de lys et quelques inscriptions comme «ostie de câlisse» ou «Made in Montreal».

Hallucination due au stock trop fort qu'ils vendent dans les coffee shops de la ville? Non, il ne s'agissait pas d'une hallucination. Seulement des nouveaux locaux que l'agence de pub montréalaise Sid Lee a inaugurés à Amsterdam jeudi dernier. Sur le carton d'invitation, les gens étaient conviés à un 5 à 7, expression typiquement montréalaise qui n'existe pas ailleurs que chez nous. Le DJ Vincent Lemieux était venu expressément de Montréal pour l'occasion. La musique d'Ariane Moffatt et d'Arcade Fire figurait au programme, de même que du cochon grillé et de la tire d'érable sur glace. Tout cela gracieuseté de Sid Lee, une agence de publicité pas tout à fait comme les autres.

 

En effet, chez Sid Lee, les publicitaires sont aussi des créateurs qui peignent des toiles, dessinent des meubles ou de la vaisselle et prêtent leur créativité aussi bien au Cirque du Soleil qu'à Robert Lepage. Récemment, par exemple, Philippe Meunier, un des cofondateurs de Sid Lee, a travaillé à titre d'idéateur et de scénariste au Moulin à images de Lepage. Il a aussi collaboré étroitement à plusieurs spectacles du Cirque du Soleil à Las Vegas.

Mais l'aventure à Amsterdam est d'un tout autre ordre. D'une part, l'agence qui vient de remporter le contrat pour Adidas dans le monde entier voulait ouvrir une succursale en Europe, si possible dans une ville cool qui ne serait pas nécessairement une grosse métropole comme Londres ou Paris, mais où il y aurait des vols directs de Montréal tous les jours. Ce qui, en passant, n'est pas le cas de Berlin, dont le nom fut évoqué. Mais Sid Lee voulait aussi en profiter pour mettre de l'avant la marque Montréal. Car, dans l'esprit des gens de Sid Lee, Montréal n'est pas une ville en perte de vitesse, remplie de nids de poule, paralysée par les travaux de voirie et orpheline de son Grand Prix. Non. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Montréal est, selon Sid Lee, une ville qui regorge de créateurs et de créativité, une ville originale et distincte, qui fait les choses à sa manière et qui mérite de rayonner ailleurs que dans son petit carré de sable montréalais.

C'est pourquoi on retrouvera, dans la boutique de Sid Lee Collective - adjacente aux bureaux de l'agence à Amsterdam -, des robes de la designer montréalaise Renata Morales, des CD de Turbo Recordings, label montréalais de musique électronique, des t-shirts haut de gamme de marque Adieu de Melinda Santillan-Moreno, des filtres à eau éco-design Ovopur et même des divans.

Frédéric Gauthier, responsable du projet, raconte que l'impulsion de départ fut la nomination, en 2006, de Montréal comme ville UNESCO du design, au même titre que Berlin et Buenos Aires. «À ce moment-là, on s'est dit: «Pourquoi ne pas se servir de ce titre pour montrer aux autres de quoi nos designers sont capables?» raconte-t-il. C'est sûr qu'à Amsterdam, la concurrence est forte dans le domaine. Ils en ont vu d'autres, mais on pense quand même que la marque Montréal et l'esprit particulier qu'elle incarne apportent quelque chose de singulier et de différent au monde du design.»

Fait étonnant, cette nouvelle vitrine qui vient de naître à Amsterdam n'a pas bénéficié d'un sou en subventions. De mémoire de journaliste culturelle, c'est la première fois en plus de trois décennies que je vois une telle initiative culturelle de la part du secteur privé.

Toute cette belle énergie, cet enthousiasme et surtout cette foi en Montréal font chaud au coeur, mais ne garantissent pas des lendemains qui chantent, surtout en ces temps de grande tourmente économique.

Est-ce que la marque Montréal résistera aux vents défavorables et réussira à s'imposer dans une ville qui accueille la crème des designers à la fois néerlandais et européens? Il est évidemment trop tôt pour le savoir. Chose certaine, l'initiative mérite d'être soulignée et applaudie. Et puis, si Sid Lee n'arrive pas à faire ses frais avec sa boutique et son bistro, l'agence pourra toujours se rabattre sur ses nouveaux clients. J'imagine que ce n'est pas un hasard si la brasserie Heineken est à deux intersections de ses bureaux. En juillet, la célèbre brasserie, dont le budget publicitaire est d'environ 40 millions d'euros, annonçait qu'elle était à la recherche d'un nouveau partenaire. Dès que l'appel d'offres sera lancé, on se doute bien que les gens de Sid Lee seront sur les rangs avec leur créativité, leur énergie et leur 5 à 7 typiquement montréalais, l'heure idéale pour boire une Heineken.