Dans un sac en vinyle transparent, un bouquet de gros oignons rouges. Au bout du sac, la main d'une grande Noire sublime et sculpturale. Et au bout de sa main, une magnifique robe bulbe en soie brute aux couleurs éclatantes, signée Helmer. Hel qui?

C'était lundi soir au marché Bonsecours à l'ouverture de la Semaine de la mode. Pour moi, la mode à Montréal se résume à quelques noms au nombre desquels figurent Marie Saint Pierre, Mariouche et Philippe Dubuc pour la ligne tranchante de ses vêtements pour hommes, mais aussi pour ses défilés spectaculaires qui sont des spectacles en soi et parfois même, des spectacles diablement plus captivants que ceux de certains chanteurs.

Bref, si j'étais au Marché Bonsecours lundi soir c'était un peu pour la mode et beaucoup pour le show de Dubuc même si son show, comme celui des autres, ne dure jamais plus de 15 minutes, soit une fraction de seconde par rapport aux centaines d'heures de sueur et labeur investies dans la création d'une nouvelle collection.

Toujours est-il que le défilé de Dubuc avec ses cavaliers hybrides en pantalons «sarouels» bouffants et en vestons courts et cintrés venait de prendre fin quand ma voisine, Francine Grimaldi, m'a demandé si je restais pour Helmer. Hel qui? Tu ne connais pas Helmer s'est-elle écriée, parfaitement édifiée.

Désolée, mais non, avant lundi soir, je ne connaissais pas Helmer. Pas plus que je ne connaissais la délicieuse et dynamique Eve Gravel qui habille les musiciens de Malajube comme ceux de Beast et de Karkwa. Je ne connaissais pas non plus le designer Cluc qui, dans une lettre pertinente publiée hier dans La Presse, déplorait l'invisibilité des designers québécois qui sont pourtant très nombreux à créer un produit culturel unique et indispensable mais auquel les médias ne portent pas vraiment attention, tout obnubilés qu'ils sont par les «veudettes» de la télé et de la chanson.

Lundi soir, même sans avoir lu Cluc, j'étais déjà d'accord avec lui quand j'ai vu 800 initiés prendre place le long de la passerelle pour voir la dernière collection de Helmer Joseph, un authentique artiste visuel que j'aurais dû connaître mais dont j'ignorais l'existence.

Pourtant Helmer n'est pas un débutant. Né en Haïti, il est arrivé à Montréal à l'âge de 20 ans, a étudié au Collège Lasalle avant de s'envoler pour Paris où il a travaillé avec les plus grands. Revenu en ville il y a quatre ans pour s'occuper de sa mère, Helmer espérait faire de la conception de costumes. Mais incapable de se trouver un boulot au théâtre, malgré sa vaste expérience et son incroyable talent, il a offert ses services de tailleur émérite à Philippe Dubuc tout en concevant et en fabriquant entièrement seul, une première collection pour la Semaine de la mode.

Lundi soir, sa cinquième collection, un opus somptueusement délirant, inspiré par «la grâce naturelle de l'oignon» et peuplé de souliers dépareillés et de coiffures montées en gâteau de noces, comprenait entre autres, une robe de mariée avec un col de dentelles entièrement fait de pelures d'oignons séchées! Magnifique!

Avec Helmer, non seulement le défilé est un spectacle, mais chaque pièce de vêtement est un tableau, une pièce de théâtre, un opéra et une comédie musicale. Ce type est le Dany Laferrière de la mode montréalaise. Mais à part ses clients privés et un petit cercle d'initiés, personne en dehors du milieu de la mode, ne le connaît. Idem pour une foule de designers québécois, aussi doués et débordants d'imagination que n'importe quel créateur en musique, en théâtre ou en télévision, mais qui créent chez eux, dans l'indifférence la plus complète.

Hier, le maire Tremblay a annoncé un investissement de 2,4 millions sur trois ans pour positionner Montréal sur la scène internationale de la mode. C'est une excellente idée, mais avant de convaincre les autres que Montréal a du style, encore faudrait-il que nous en soyons nous-mêmes convaincus.

Comme pour le théâtre, le cinéma, la littérature ou la musique, le goût de la mode, de son langage, de ses codes et de sa culture, s'apprend et s'acquiert. J'en suis la preuve. Lundi soir, en entrant au Marché Bonsecours, je ne connaissais que le nom de trois designers québécois. J'en suis ressortie éblouie par Helmer, charmée par Eve Gravel, intriguée par Denis Gagnon et impatiente de revenir le lendemain soir. Montréal ne sera peut-être jamais une capitale de la mode comme New York ou Milan, mais une chose est désormais claire: la ville ne manque ni de talents ni de style pour espérer le devenir.