Le titre de l'émission? L'esquive. Ses principaux interprètes? Trois animateurs de série jeunesse et une demi-douzaine d'actrices québécoises et autant d'acteurs québécois. À tous ces abonnés absents qui ne se sont pas présentés à la conférence de presse du gala Artis, pour mettre un visage sur la nomination qu'ils venaient de recevoir de la part du public, je décerne un nouvel Artis. Celui de l'esquive.

Esquive: éviter une difficulté, se retirer pour ne pas être vu et ma définition toute personnelle: fâcheuse tendance à fuir chez le coiffeur ou à s'enfermer dans le placard dès que la soupe devient trop chaude.

 

Dans le cas qui nous occupe, la soupe chaude a un nom: Jean-François Harrisson, accusé mercredi dernier de possession et d'échange de porno juvénile. Ironiquement, le matin du jour de son arrestation, l'acteur de 34 ans recevait un avis de la direction de TVA lui apprenant qu'il faisait partie des finalistes dans la catégorie «meilleur artiste d'émissions jeunesse». Autant dire que son bonheur fut de courte durée puisque quelques heures plus tard, il se retrouvait menottes aux poignets au poste de police, son avenir professionnel sérieusement entaché.

Lundi, après avoir attendu en vain que Harrisson se retire lui même de la course, TVA a décidé de sévir et de l'effacer de la liste des nominations, vu la gravité des accusations qui pesaient sur lui. C'est ici que débute la grande esquive. Car jusqu'à ce moment-là, une trentaine d'acteurs et d'animateurs avaient confirmé leur présence à la conférence de presse d'hier midi. Mais devant l'ampleur dérangeante de l'affaire Harrisson, la liste a fondu comme neige au soleil.

Affolés à l'idée d'avoir à commenter les accusations pesant sur un membre de leur famille professionnel, une quinzaine d'artistes en lice pour un trophée Artis se sont désistés. Selon la vice-présidente à la programmation France Lauzière, il n'étaient que six ou sept à se désister à la dernière minute à cause de l'effet Harrisson, mais une journaliste, qui avait obtenu des confirmations la veille en prévision de sa couverture, affirme qu'ils étaient le double.

Du côté des actrices, exception faite de Monique Mercure, les sept autres brillaient par leur absence. Chez les huit premiers rôles masculins, seuls Gilbert Sicotte et Frédérick De Grandpré ont répondu à l'appel. Quant aux animateurs jeunesse en nomination dans la catégorie d'où Harrisson a été banni, aucun n'a pris le risque de se montrer le bout du nez.

Mais de quel risque au juste s'agit-il? Celui d'être éclaboussé par l'affaire uniquement par contamination verbale? Celui d'être associé à un présumé cyberpédophile simplement parce qu'on a déjà travaillé avec lui? Le risque de ternir son image publique rien qu'en prononçant les mots porno juvénile? J'ai beau tourner et retourner la question, je ne trouve aucune justification au silence dans lequel trop d'acteurs se sont emmurés depuis que l'affaire a éclaté.

Un agent me faisait remarquer que contrairement aux acteurs américains, les acteurs québécois n'ont personne à leur service pour leur écrire la déclaration ou la réplique qui leur permettra de briller devant les caméras dans des cas délicats comme celui-là. Personne, en fin de compte, pour penser à leur place.

Si c'est le contenu, la cause du problème, alors j'aimerais proposer quelques pistes à ces messieurs-dames. La piste la plus rapide et la plus facile à suivre, c'est d'invoquer la présomption d'innocence. Jean-François Harrisson a peut-être été accusé de choses pas très jolies, mais jusqu'à preuve du contraire, il est encore innocent. Dire qu'on refuse de porter des jugements tant que les preuves retenues contre l'acteur n'auront pas été révélées est non seulement une réponse acceptable, mais c'est aussi le signe d'une belle sagesse. C'est aussi une façon pour les acteurs de jouer un rôle social utile en rappelant au public que la présomption d'innocence existe et que c'est une valeur cardinale et essentielle de notre système de justice.

Parmi les autres pistes à suivre, les acteurs et actrices peuvent réfléchir à voix haute, comme l'a fait Dany Turcotte hier midi, sur l'énorme décalage entre la peine de prison imposée à un cyberpédophile - qui dépasse rarement 18 mois - et le poids de l'opprobre social qui dure toute une vie et qui, dans le cas de Harrisson, risque de détruire sa carrière. Ou encore ils peuvent constater, comme l'a fait Éric Salvail, que lorsqu'on est une personnalité de la télévision, on doit marcher dans un couloir très étroit qui ne tolère pas les égarements, surtout pas ceux impliquant les enfants. Bref, ce ne sont pas les angles de réflexion qui manquent. Et pourtant...

Abondamment sollicités par des médias qui les interpellent pour un oui, pour un non, les artistes de la télé québécoise parlent souvent pour ne rien dire. Ce n'est pas de leur faute. C'est ainsi que la machine à fabulation fonctionne.

Dommage que lorsque cette machine se détraque et leur offre l'occasion de se prononcer sur autre chose que la couleur de leurs bobettes, le nom de leur caniche ou le titre de leur nouvelle série, certains choisissent l'esquive.