Pascale Picard ne connaît pas sa chance. Partie en tournée quelque part en Europe, la belle enfant n'aura pas à faire les frais d'une nouvelle controverse linguistique sur fond de Fête nationale comme celle qui a éclaté en fin de semaine. Car si Bloodshot Bill et Lake of Stew se sont fait interdire de chanter en anglais et donc de chanter tout court à l'Autre Saint-Jean au parc du Pélican à Rosemont la veille de la Fête nationale, je vois mal comme ce droit pourrait être accordé à une fille de Québec qui triomphe en France en chantant dans la langue de GrimSkunk.

D'ailleurs, pas besoin d'aller aussi loin que Québec pour trouver une autre fille affligée du même syndrome. À Charlemagne, une native de la région qui se prénomme Céline, remplit des stades partout à travers le monde, en chantant uniquement en anglais, sauf à Paris, et une fois tous les 400 ans à Québec. Et quand ce n'est pas Céline qui remplit des stades en chantant en anglais, c'est Chuck Comeau, David Desrosiers et leurs amis de Simple Plan qui les remplissent à sa place. Or, selon la logique d'au moins un membre de l'Association culturelle Louis-Hébert, mais aussi celle du Comité de la Fête nationale, si jamais Pascale Picard, Céline ou Simple Plan se proposaient pour venir chanter en anglais «gratos» au parc du Pélican, la veille de la Saint-Jean, ils se feraient répondre merci, mais non merci.

Vous me direz que ce jour-là ne risque pas d'arriver. Vous avez raison. Vous avez tellement raison que l'exclusion des deux groupes anglos révèle une sorte d'état de fait qui existe depuis longtemps, mais qui a toujours été occulté. C'est le point positif de cette histoire: elle nous apprend quelque chose que nous ignorions, à savoir qu'il est strictement interdit de chanter en anglais le 24 juin, sauf dans sa douche évidemment.

Mieux encore: n'importe quel chanteur fraîchement installé au Québec et dont la langue maternelle est le wolof ou le tagalog a plus de chance de chanter à un show de la Saint-Jean que son voisin anglo et montréalais depuis huit générations.

En 1975, sur la montagne, au plus fort de l'affirmation nationale et de la fièvre nationaliste, chanter en français le soir de la Saint-Jean allait de soi. Personne n'aurait osé prétendre le contraire. La fête se fêtait en français, point. Les années ont passé et au fil des ans, la Fête nationale s'est mise à s'ouvrir, à se vouloir inclusive, accueillante, métissée, multiculturelle et apolitique. Ce mouvement d'ouverture s'est traduit par des slogans comme «Le Québec est au monde», «Tout le monde est important», «Heureux d'être ensemble», «À nous le monde», «Et si on se lançait des fleurs...» etc.

Sur scène, sous l'impulsion du maître de cérémonie Normand Brathwaite, des musiciens issus d'autres cultures se sont mis à débarquer avec leurs tam-tam africains, leurs violons tziganes, leurs guitares manouche, leurs voix italiennes ou bulgares. Cette ouverture aurait dû en principe s'étendre à nos camarades anglophones et anglophiles. Le talent ne manquait pas à l'appel et surtout ne menaçait pas notre survie culturelle. Pourtant, la discrimination discrète, mais néanmoins réelle, a continué à l'égard des anglos et des anglophiles du Québec. Invités à se taire et à chômer le 24 juin, pas étonnant que ces derniers montent tant d'empressement à chanter le 1er juillet à la fête du Canada. Dans un tel contexte, qui n'aurait pas envie de remercier la main qui s'ouvre et nourrit...

Loin de moi l'idée de prêcher pour une Fête nationale polymorphe, aphasique et aussi «aculturelle» que celui qui n'affiche aucune opinion politique, est apolitique.

La Fête nationale demeure à mes yeux la fête de la culture québécoise: une fête francophone et francophile où l'on rêve en bleu et où l'on chante généralement en québécois. Mais comme on a décidé collectivement il y a plusieurs années d'inclure les autres et de fêter dans toutes les langues, je ne vois pas pourquoi l'anglais ferait l'objet d'un décret secret et discriminatoire.

En fin de journée hier, les producteurs de l'Autre Saint-Jean ont affirmé qu'ils allaient maintenir malgré tout les deux groupes anglos à l'affiche de leur programme. Nous aurons la réponse finale demain. Je le souhaite pour eux et pour nous. Car laisser des artistes anglos chanter dans leur propre langue le soir de la Saint-Jean n'est pas baisser les armes, plier l'échine ou courir le risque d'un génocide culturel. C'est faire preuve d'ouverture, de partage et de fraternité. Sans compter qu'une fois par année n'est pas coutume.