Marlon Brando lui a déjà défoncé la mâchoire et cassé cinq dents. Mick Jagger l'a salué en lui faisant un doigt d'honneur. Woody Allen l'a repoussé brutalement sur le trottoir. Cary Grant lui a demandé pourquoi il n'était pas encore mort. Les gardes du corps de Richard Burton l'ont roué de coups avant de le faire jeter en prison pour la nuit. La garde rapprochée d'Elvis Presley a crevé ses pneus d'auto. Jackie Kennedy lui a intenté deux procès pour harcèlement et violation de sa vie privée. Son nom? Ron Galella. Sa profession? Paparazzi. Ses cibles? Les stars.

Désormais aussi célèbre que ceux qu'il a longtemps traqués, Ron Galella, 78 ans, est de passage à Montréal, en partie grâce à son cousin montréalais Ottavio Galella, ingénieur et consultant en circulation routière qui publie ses livres et qui a eu l'idée de faire venir le photographe en ville. Hier, Galella inaugurait Viva l'Italia, une exposition de ses photos au théâtre Centaur dans le Vieux-Montréal, et aujourd'hui à midi, il prononcera une conférence gratuite sur le style photographique qu'il pratique depuis plus de 40 ans.

J'ai rencontré Ron Galella hier à midi à l'hôtel Place d'Armes. Il venait à peine d'arriver du New Jersey où il vit dans une sorte de manoir rococo aux colonnes gréco-romaines avec Betty, sa conjointe depuis plus de 30 ans. Son Nikon numérique solidement attaché au cou, Ron Galella s'est avancé vers moi en me mitraillant furieusement de son objectif, un sourire crasse accroché aux lèvres. «Voyez, c'est comme ça que je fais», m'a-t-il annoncé du haut de ses 6 pieds et 200 livres avant de préciser qu'il était un paparazzo différent des autres, en raison de ses études, de sa culture et de sa vaste expérience sur un terrain qu'il a été un des premiers à exploiter.

Né en 1931 dans le Bronx, Galella est le fils d'un menuisier italien qui gagnait sa vie en fabriquant des pianos et des cercueils. Au tournant de la vingtaine, Galella s'enrôle dans l'aviation américaine et participe à la guerre de Corée comme photographe de guerre. À son retour aux États-Unis, il poursuit des études de photographie dans un centre d'art et de design de Los Angeles, puis se lance comme agent libre sur le marché.

Il commence par prendre des photos d'inconnus et de badauds qui lui rapportent à peine de quoi mettre du pain sur la table. Tout bascule le jour où il découvre les joies et surtout la mine d'or de la photo de stars.

«Avec Jackie ou Liz Taylor, je pouvais gagner 1000 $ en vendant un seul cliché. C'était la belle époque. Nous étions moins nombreux que les paparazzis européens, moins agressifs aussi. La sécurité autour des stars n'était pas comme aujourd'hui, les attachés de presse non plus et les magazines se battaient pour acheter nos photos. Un rêve!»

Au fil des ans, Galella propose un puissant antidote au style hollywoodien, où la star trop maquillée et trop souriante pose artificiellement devant la caméra. À cette école figée et prévisible, Galella préfère l'approche du chasseur qui attend sa proie tapie dans l'ombre. «Ce qui m'intéressait c'était la photo spontanée, sans rendez-vous, sans répétition, sans maquillage, la photo où le sujet est pris de court et nous livre, malgré lui, une émotion réelle. Peu importe l'émotion, ce qui compte, c'est sa vérité.»

Très vite, Jackie O devient sa cible, son sujet de prédilection, son obsession. Il la traque devant son immeuble, dans les rues et ruelles de Manhattan ou à Central Park, où elle fait quotidiennement du jogging. Bien malgré elle, Jackie rendra Galella célèbre grâce à une photo d'elle qui fera le tour du monde. Intitulée Wind Blown Jackie et campant une Jackie au naturel qui traverse une rue, ses cheveux pris dans le tourbillon du vent, la photo saisit l'éternel féminin et le mystère d'une des plus grandes icônes de l'ère moderne.

Mais ce cadeau du ciel se mue en cauchemar. Invoquant la violation de sa vie privée malgré son statut de personnalité publique, Jackie dépose deux poursuites contre Galella. «Cette femme était une hypocrite, tonne-t-il encore aujourd'hui. C'est elle qui me harcelait en m'envoyant les services secrets pour qu'ils me barrent la voie et qu'ils saisissent mes films. Elle faisait semblant de ne pas aimer la publicité, mais elle en raffolait.»

Galella finit par perdre sa cause et doit renoncer à vie à traquer sa muse ainsi que ses enfants. Qu'à cela ne tienne. Les stars récalcitrantes ne manquent pas. De Gina Lollobridgida jusqu'à Marlon Brando, en passant par Liza Minnelli, Elvis, Michael Jackson et Madonna, Galella a chassé pratiquement toutes les stars, sauf Marilyn, qu'il a ratée de quelques heures.

À 78 ans, il chasse encore à l'occasion, moins pour le plaisir que pour le renouvellement annuel de son accréditation. Mais vous ne le verrez jamais à l'enterrement d'une star ou à l'entrée de son immeuble en attendant que la morgue sorte son cadavre. Ron Galella aime ses stars vivantes. C'est peut-être ce qui le distingue le plus des paparazzis d'aujourd'hui.

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RON GALELLA: VIVA L'ITALIA à la galerie Centaur, 453, rue Saint-François-Xavier, jusqu'au 6 décembre.

 

Photo: Robert Skinner, La Presse

Le photographe américain Ron Galella propose une expo de ses clichés de stars au Théâtre Centaur. On le voit ici devant sa célèbre photo de Jackie Onassis.