L'Artexpo de New York est la plus grande foire de l'art au monde. Chaque année, environ 40 000 agents, collectionneurs et acheteurs du monde entier convergent vers cette mecque de l'art contemporain.

La location du plus petit stand (80 pieds carrés) coûte 4700 $US. Celle du plus grand (1600 pieds carrés), 74 000 $US. La plupart des 1600 artistes qui y exposent le font par le truchement des galeries qui les représentent. Rares sont les artistes qui s'y aventurent seuls et sans référence. C'est pourtant le défi que s'est donné le peintre montréalais André Desjardins en mars 2008.

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Avec comme seule carte de visite sa bonne volonté, un numéro de réservation pour un stand de 200 pieds carrés et 26 tableaux fraîchement terminés, Desjardins a dit au revoir à ses 3 ados à la maison. Avec sa blonde, la cinéaste Hélène Bélanger Martin, il a sauté dans sa voiture. Direction: le centre des congrès Jacob K. Javits sur la 34e Rue à Manhattan.

Ancien graphiste et surtout ex-copropriétaire d'une boîte de communications qu'il a vendue en 2001, Desjardins savait compter. Il avait calculé qu'en vendant cinq ou six tableaux, il pourrait revenir à Montréal pas trop ruiné.

Arrivé dans son petit stand perdu au milieu de l'immensité affolante du salon, il a commencé l'accrochage de ses tableaux. Leurs teintes ocre et terra cotta réalisées grâce au mariage huile et poudre de fusain broyé et mises au service de visages humains saisis dans différents moments d'intériorité ont attiré les regards. Au bout d'une heure, il avait déjà vendu cinq tableaux. Au bout de quatre jours, tous les 26 tableaux s'étaient envolés. Comme il pliait bagages, un type d'environ 40 ans s'est approché. Daniel Winn était le PDG de Masterpiece Publishing, une agence basée à Los Angeles, branchée sur un réseau de 600 galeries et qui gère la carrière de seulement une douzaine d'artistes et de sculpteurs. Le PDG n'avait qu'une question pour André Desjardins. Voulez-vous vous joindre à notre écurie?

Au printemps 2008, André Desjardins a signé un contrat de 10 ans avec Masterpiece Publishing, dont le modèle d'affaires lui permet de peindre sans s'occuper de rien mais aussi de sculpter des bronzes grâce à la fonderie que possède l'entreprise. En signant, il est devenu le premier artiste canadien parmi une courte liste de peintres et de sculpteurs américains, roumains, yougoslaves, mexicains et vietnamiens. Comme il le dit lui-même: être choisi par Masterpiece Publishing, c'est comme être repêché par la Ligue nationale de hockey.

Quelques mois plus tard, le magazine Art Business News a nommé Desjardins dans sa liste des 10 artistes émergents le plus prometteurs.

Assis dans son atelier du Mile End, Desjardins me raconte toute cette folle épopée d'une voix aussi douce et zen que ses tableaux. Tout autour de nous, des visages flous aux traits souvent androgynes se déploient sur les murs. En fait, tous ces êtres qu'il a fait naître sous ses doigts enduis de poudre de fusain sans l'aide d'un modèle ou d'une photo sont enfermés dans leur monde intérieur et libérés de la conscience du regard des autres sur eux. C'est comme si le peintre les avait captés à leur insu dans un moment de profonde intimité. Autant dire que Desjardins n'est pas arrivé à cette maîtrise de l'émotion du jour au lendemain.

Desjardins a commencé à peindre en 2000 tous les jours en revenant du bureau et des fois jusqu'à très tard dans la nuit. Au bout d'un an, l'appel de la peinture était trop fort. Il a vendu son entreprise pour peindre à plein temps.

«Quand j'ai commencé à peindre, je peignais comme un graphiste. Un jour mon ami, le metteur en scène Pierre Bernard, m'a dit de sortir du cadre, de me laisser aller et d'y aller en toute liberté avec mon coeur. Il a déclenché quelque chose en moi.»

En découvrant sa peinture, les gens de Masterpiece Publishing ont décidé de lui donner un nom: l'émotionnisme. «Ça a l'air savant comme ça, mais ce que ça veut dire, c'est simplement que la réalité des émotions dans mes tableaux est palpable», explique-t-il.

Ce matin, André Desjardins boucle l'emballage d'une trentaine de toiles qui partiront pour Laguna Beach, en Californie, pour une exposition dans la magnifique salle d'exposition de Masterpiece Publishing. Desjardins ira les rejoindre le 4 décembre pour une virée avec des collectionneurs privés et des acheteurs qui seront nourris, logés et cajolés par Masterpiece Publishing dans l'espoir évidemment qu'ils repartent avec un imposant carnet de commandes.

Depuis qu'il a signé avec Masterpiece Publishing, Desjardins ne peut pas s'empêcher de constater l'énorme contraste entre le marché de l'art américain que la récession n'a pas trop ralenti et le marché anémique québécois. Dans l'un, il est perçu comme un artiste talentueux et prometteur dont les toiles se vendent comme des petits pains chauds. Dans l'autre, il n'existe pratiquement pas malgré ses expositions au Monument-National et dans le hall d'eXcentris. Mais Desjardins ne s'en formalise pas trop. L'important pour lui, c'est d'être sorti du cadre. De tous les cadres, en fait.

 

Photo: Bernard Brault, La Presse

Le peintre André Desjardins, anciennement graphiste, a signé au printemps 2008 un contrat de 10 ans avec Masterpiece Publishing, une agence basée à Los Angeles qui gère la carrière de seulement une douzaine d'artistes et de sculpteurs.