La photo dans Paris Match a semé l'émoi dans toute la France. Croquée devant unemosquée deGennevilliers, cette photo montre une jeune femme de 29 ans voilée, son corps enfoui sous une longue djellaba noire, marchant légèrement en retrait de son mari. Nom civil de la jeune fille? Mélanie Georgiades. Nom de scène? Diam's, sympathique rappeuse française qui, en 2006, dans la France de Sarko qu'elle dénonçait âprement, a réussi à vendre plus d'un million du CD Dans ma bulle. Imaginez! Elle, la petite banlieusarde sortie de nulle part et trop blanche, à qui on avait dit qu'elle ne réussirait jamais à percer le monde macho des rappeurs, voilà qu'elle avait atteint le sommet des palmarès !

Montréal, février 2007, suite 714 de l'Auberge des Gouverneurs, je la revois encore: pétillante et pétulante petite boulette comme elle aimait se qualifier elle-même, tête nue, cheveux courts, le sourire fendu jusqu'aux oreilles, heureuse de se retrouver dans cette ville où elle avait chanté quasi incognito deux fois aux FrancoFolies et où elle revenait auréolée de succès et prête à prendre d'assaut un Métropolis qui affichait complet.

Quel grand malheur s'est donc abattu sur cette fille pour qu'après avoir été un modèle de cran et d'émancipation pour «toutes les nanas» des banlieues et d'ailleurs, elle disparaisse sous un voile?

Pas un seul grand malheur, ai-je appris dans les médias français, mais un cocktail explosif de trop de succès, trop de fric, trop d'alcool et de dope, le tout mélangé à une peine d'amour, un diagnostic de bipolarité et une dépression nerveuse si sévère que Diam's a dû être traitée en institution psychiatrique pendant des mois. En émergeant de ce cauchemar, l'Islam l'attendait à bras ouverts avec sa pudeur, son absence de doute et son surplus de discipline.

Il y a trois ans à Montréal, j'avais essayé d'aborder avec Diam's le sujet de sa conversion à l'islam en 2000.

«Je ne parle jamais de religion, m'avait-elle répondu. C'est une affaire personnelle et privée.»

Le caractère intraitable de la réponse m'avait frappée. Encore plus frappant, son refus de dénoncer le voile porté par plusieurs de ses amies. À l'époque, j'avais pris sa nonchalance à l'égard du voile comme une forme de provocation de la part d'une ado sympa et rebelle qui s'était convertie à l'islam un peu, beaucoup, pour faire suer sa mère.

Aujourd'hui, je ne trouve rien de sympa au fait que Diam's porte le voile ni qu'elle en fasse l'apologie en chantant, «elle n'est pas laïque cette nation, elle craint juste la contagion» dans la chanson Lili parue sur son nouveau CD, sorti le 16 novembre.

Pour l'instant, Diam's ne porte le voile qu'en privé. Sur ses photos de presse, elle a la tête couverte d'une casquette, d'un bonnet ou d'un foulard, mais pas d'un voile. Pour l'instant, Diam's se garde une petite gêne.

Il n'en demeure pas moins que ce geste privé, indissociable de sa notoriété, devient par la force des choses un geste public et donc un exemple de soumission pour toutes les jeunes filles qui l'adulent. On dirait en plus que Diam's a choisi de faire ce geste à un moment charnière de l'histoire de la France, alors que celle-ci est plongée dans un immense débat sur son identité nationale et sur ce foutu voile qui contredit la nation laïque que la France aspire à être.

Or plus le débat sur la laïcité fait rage en France, plus on a l'impression que le voile devient, pour la génération Diam's, moins un symbole religieux qu'un symbole de rébellion, une façon d'affirmer sa différence face à l'ordre établi, une façon de déclarer son indépendance et se croire libre.

Mais Diam's devrait savoir qu'une femme voilée n'est pas une femme libre. Elle devrait surtout savoir qu'un voile n'est pas une bulle. Dans sa bulle, une femme peut faire ce qu'elle veut. Sous un voile, elle n'a d'autre choix que de se soumettre.