Est-ce l'effet d'un alignement particulier des astres ou d'un simple hasard? Depuis quelque temps, les pièces de théâtre les plus marquantes, les textes dramatiques les plus frappants, les plus fulgurants, ceux qui m'ont harponné le coeur, labouré l'âme, bousculé l'esprit et fait réfléchir, les textes qui m'ont fait voyager aussi bien ailleurs qu'au plus profond de moi-même ont tous été écrits par des filles.

Elles ne sont pas nombreuses. Elles ne forment même pas le début d'une armée, mais il y a chez elles la vigueur, l'inspiration et l'aplomb des conquérantes. Elles ont pour nom Evelyne de la Chenelière, Julie Vincent et Jennifer Tremblay. La première a écrit L'imposture, une pièce riche, dense et touffue qui a pris l'affiche du TNM l'automne dernier et qui traite de la difficulté d'être à la fois mère, femme et artiste et des tensions douloureuses entre la création et la procréation. Julie Vincent, la deuxième, s'est mise à l'écriture tardivement, mais elle a rapidement rattrapé le temps perdu. Après La robe de mariée de Gisèle Schmidt, une pièce qui l'a amenée jusqu'en Uruguay, elle vient d'accoucher à la salle Fred-Barry du Portier de la gare Windsor, un magnifique chassé-croisé en forme d'effet miroir entre le passé engagé de la société québécoise et celui d'un architecte de Montevideo obligé de fuir son pays pendant le coup d'État de 1973.

La troisième et dernière amazone s'appelle Jennifer Tremblay et nous offre, depuis mardi au Théâtre d'Aujourd'hui, le texte admirable et poignant de La liste, le monologue d'une femme égocentrique et débordée qui s'enferme dans sa liste de choses à faire plutôt que de tendre la main à une voisine qui a besoin de son aide. Le texte a remporté un prix du Gouverneur général en 2008 et devrait un jour valoir un prix d'interprétation à Sylvie Drapeau, qui l'interprète de façon magistrale.

Trois filles, trois sujets très différents, mais trois oeuvres fortes, maîtrisées et marquantes. Le phénomène mérite d'être souligné ne serait-ce que parce que les femmes n'ont pas souvent brillé au théâtre québécois. Depuis Gratien Gélinas jusqu'à Michel Tremblay, en passant par les Michel Marc Bouchard, Serge Boucher, Jean Marc Dalpé, Normand Chaurette, François Létourneau et Frédéric Blanchette qui leur ont succédé, le théâtre québécois est depuis plus de 50 ans l'apanage des hommes.

Bien sûr, il y a quelques femmes qui se sont risquées sur la patinoire, la plus célèbre et la plus prolifique étant Marie Laberge. Mais après une vingtaine de pièces écrites en autant d'années, Marie Laberge a décroché et tiré sa révérence. Exception faite de Carole Fréchette et de Suzanne Lebeau, chef de file de la dramaturgie pour jeunes publics, les filles qui écrivent pour le théâtre se sont faites aussi discrètes que rares. À cet égard, le cycle québécois entrepris cet automne chez Jean-Duceppe est éloquent. Sur les cinq auteurs québécois retenus pour la saison, pas une seule femme.

Dans le fond, le monde du théâtre n'est pas très différent du monde de l'humour ni de celui du cinéma. Pour des raisons qui leur sont parfois personnelles et qui parfois découlent d'une certaine frilosité sociale, les femmes ont de la difficulté à s'imposer dans ces domaines et finissent par se décourager et par aller voir ailleurs si elles y sont.

Malgré ces obstacles inhérents, que Julie, Evelyne et Jennifer aient choisi de persister et de signer leurs propres textes a de quoi nous réjouir. Pour la diversité de la création théâtrale d'abord, mais aussi parce que ces trois pièces qui prennent l'affiche presque simultanément ne sont pas seulement des pièces dont la principale caractéristique est d'avoir été écrites par des filles. Ces pièces-là sont bonnes, vraiment bonnes. Elles témoignent avec brio du talent et de la maturité de leurs auteures. À la fin de la journée, c'est tout ce qui compte. Chapeau, les filles et, surtout, ne lâchez pas !

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca