Le premier privilège de la richesse, c'est la beauté.Ça m'a frappé en entrant à Westmount, l'autre après-midi. Ces pelouses d'une santé vibrante, impeccablement manucurées. Ces arbres matures. Ces platebandes à l'élégance discrète. Ces maisons en briques, très dignes. Westmount, c'est beau.

Et, imaginez, je n'étais même pas dans la montagne. Juste à son pied. Là où on trouve des maisons modestes si on les compare aux manoirs des Mulroney, Villeneuve et l'autre, là, j'oublie son nom, enfin, le veuf de la ratoureuse de Cinar...

J'arrivais du centre-ville. Le centre-ville et son tumulte. Les klaxons, le grondement des autobus, les boum-boum des travaux de réparation de chaussée. Puis, en m'engouffrant dans Westmount, le calme. Le silence. La sérénité, les amis...

C'est sans doute le second privilège de la richesse: le silence. Ça explique peut-être l'absolue discrétion des riches quand vient le temps de parler d'argent...

Dans la rue où je me trouvais, sur 50 mètres, nonchalamment garées, trois voitures Mercedes. Je me suis garé derrière l'une d'elles, un VUS noir. Celui du couple que je m'en allais visiter, question de documenter la vie des gens riches mais pas célèbres du tout.

Un couple, donc. L'entente: oui, on va parler d'argent, monsieur le journaliste, mais vous ne mettez pas nos noms dans le journal. Lui: entrepreneur. Elle: travaille en cinéma. Deux enfants, le plus vieux a 5 ans.

Une petite maison, somme toute. L'intérieur est joli, fonctionnel. Rien de tape-à-l'oeil. Josée m'a entraîné sur la terrasse pour profiter des dernières minutes du soleil d'après-midi. La «nanny» s'occupait des enfants, au sous-sol. Martin, son chum, bossait à l'étage.

Josée n'a jamais eu de problèmes de fric. Elle a grandi dans l'argent. Son grand-père a fait fortune dans l'immobilier. À la regarder, on ne dirait pas. Elle a l'air d'une maman de Rosemont. Vieux jeans, coton ouaté. Je ne l'imagine pas avec des lunettes Dolce & Gabana sur le nez.

Riche? Pour moi, oui: «Récemment, on a eu un problème avec la maison. Un vice caché. Il a fallu faire des travaux. J'avais besoin de 100 000$. J'ai eu le chèque le jour même, de mon père...»

Josée me raconte ça, je le précise pour le contexte, sans un gramme de vanité. C'est la vie; sa famille a des sous. Tu voulais un exemple? Je t'en donne un...

Puis, il y a Martin, son chum. Martin a une entreprise florissante. Une PME sans dette, dont les clients sont l'élite financière du Québec. Il est parti de rien, l'archétype de l'entrepreneur qui s'est «fait» tout seul. Josée peut faire ce qu'elle veut, du cinéma, sans craindre les aléas de la vie, quoi...

- Es-tu riche, Josée?

- Riche? Non, fait-elle en laissant flotter son regard vers la ruelle, d'où sa fille essaie d'attirer son attention, la nounou auprès d'elle. Je suis à l'aise...

Pour cette chronique, j'ai contacté plusieurs «riches», toujours par des amis communs. Tous ont refusé de parler d'argent, de richesse avec moi. Même sous le couvert de l'anonymat. Mais tous m'ont dit à peu près la même chose que Josée: «Riche, moi? Non, non...» J'inclus dans le lot un type qui possède des millions qui dorment à la banque.

Josée me dit qu'être riche, c'est «faire ce qu'on veut, quand on veut»; que, si elle gagnait à la 6/49 (exemple hypothétique, elle ne joue pas), elle ne changerait rien à son mode de vie.

«On a des amis qui ne gagnent pas aussi bien leur vie, dit-elle. Je ne voudrais pas les faire chier en achetant une troisième auto, juste pour le fun d'avoir une décapotable...»

Sur ce, Martin nous rejoint sur la terrasse. Jeans, chemise bleue. Il voit mon nouveau joujou, un iPhone. Friand de gadgets, on parle de ce formidable appareil.

Martin a grandi dans une famille de la classe moyenne, très moyenne. Pas comme sa Josée, qui n'a jamais vraiment su ce qu'était la planification. Côté fric, Josée et Martin sont donc mal assortis. Josée en a toujours eu. Martin l'a gagné.

- Quand je dépense mon argent, dit Martin, sans animosité, moi, je suis conscient que je l'ai gagné! Ma blonde, elle, a fait des études en Californie. Son père lui a donné une carte de crédit. Mais elle n'a jamais vu la facture!

- La différence, je pense, c'est que mon chum aime plus montrer son argent que moi, répond Josée.

- Ah oui? Non, je pense pas... commence Martin, pensif.

- J'ai une Honda, il a une Mercedes! tranche Josée en me prenant à témoin.

C'est vrai, dis-je à Martin: tu as une Mercedes. C'est un char de, quoi, 80 000$, au bas mot? Surtout ce modèle-là, le VUS. Conduire une Mercedes, c'est un statement, c'est un message qu'on envoie à l'univers, Martin, allons...

- Bah, aujourd'hui, avec les locations, tout le monde peut avoir une Mercedes...

J'interromps Martin, avec ce sourire qui chuchote «arrête de me niaiser». Dans la ruelle, des enfants du quartier jouent bruyamment. La nounou des deux enfants de mes hôtes jase avec deux autres gardiennes. Toutes trois Philippines, poussant des poussettes à 1000$...

«Le message, finit par répondre Martin, pensant à voix haute, c'est... la réussite? La fierté d'avoir réussi?»

Martin et Josée ne cachent pas leur richesse. Mais, hormis le VUS Mercedes, ils ne s'en vantent pas non plus. Josée: «Je ne dis pas que j'habite à Westmount. Je dis qu'on habite au centre-ville.» Martin: «Et moi, je ne dis pas que j'ai une Mercedes. Je dis que j'ai un camion noir!»

Je dis à Martin que, dans-mon-livre-à-moi, avoir une Mercedes, être capable de claquer 80 000$ sur une auto, c'est être riche. C'est ma définition bien personnelle, mon étalon de mesure: pouvoir se payer un char luxueux.

Martin regarde sa montre. Sa rencontre d'affaires approche, il devra bientôt filer.

- La richesse, c'est relatif, finit-il par me dire.

- Relatif?

Martin m'explique. Ses clients, ce sont des riches. De vrais riches. Je ne peux pas vous dire ce que fait Martin, je le trahirais si je donnais ne serait-ce qu'un indice, mais il offre des produits et des services aux vrais riches du Québec. Pensez à une famille fortunée, Martin l'a eue comme cliente, c'est sûr.

- Un de mes clients, il a des maisons partout. Ici, aux États-Unis, en Europe, dans les Antilles.

- Tu veux dire qu'être riche, c'est avoir des maisons partout?

- Ce client-là, il était dans sa maison, dans une île des Antilles. Le fils trippait sur une certaine marque de chocolat. Mais dans l'île, pas moyen de trouver ce foutu chocolat. Devine ce que mon client a fait?

- Aucune idée, Martin...

- Il a envoyé un de ses employés en chercher, dans une île voisine. Dans son jet privé! Pour moi, être riche, c'est ça...

Pour lui, être riche, c'est ça, c'est posséder un jet privé. C'est mettre son Learjet personnel au service de petits caprices sans importance, comme aller dénicher une marque bien précise de chocolat pour son héritier...

Leçon: la richesse, c'est relatif. On est toujours le pauvre de quelqu'un, au fond. Même si on roule en Mercedes.

Mais bon, tant qu'à être pauvre, si la richesse est relative, aussi bien vivre sa pauvreté à Westmount, dans un cadre enchanteur...

L'heure du souper approchait. Il était temps que je parte.

- Dernière question, Martin.

- Oui?

- T'es riche?

- Je suis à l'aise.