Daniel Lemire avait eu le mandat de réchauffer le Club Soda et il était en forme.

Josée Verner? «Elle dort au gaz. Et au prix où est le gaz...»

Sur Maxime Bernier? «Il a inventé l'expression Finir bon Bernier...»

Sur la culture, au sens large: «Ce serait l'fun de rappeler aux conservateurs que pour l'avenir, il ne faudrait pas que ce soit seulement l'armée qui nous représente à l'étranger...»

La foule-venue-à-la-rescousse-de-la-culture-en-péril, dans le Club Soda, riait ferme. Mais bon, le papa d'Oncle Georges aurait pu lire la liste des ingrédients inactifs présents dans l'aspirine et il aurait quand même déridé l'assistance. Dire que cette salle était gagnée d'avance, c'est un euphémisme.

Pourtant, même si Lemire était en verve, j'avais un malaise. Mais je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus.

Efficace. Mais ce foutu malaise me gratouillait encore le cortex. Je n'arrivais pas à le définir.

Arrive Ariane Moffatt, après André Robitaille. Quelques mots de circonstance contre Harper avant d'entonner Réverbère, sa toune qui tourne à la radio, ces jours-ci.

Puis l'animatrice Catherine Pogonat, sur scène: «La perspective d'un gouvernement conservateur majoritaire me fait très peur.»

Bon.

Vincent Graton, le comédien, a ensuite pris le micro, énumérant des endroits où bat le coeur de la culture au Québec, des endroits qui n'ont rien à voir avec la République populaire du Plateau-Mont-Royal et sa fameuse Clique, rien à voir avec des vedettes de la TV buvant nonchalamment du champagne sur quelque tapis rouge.

Sa chute, une référence à la déclaration de Harper selon laquelle les Canadiens ordinaires se balancent des doléances des artistes: «J'aime ardemment la culture. Je l'ai apprise d'un père et d'une mère ordinaires. Et j'en suis fier!»

Sur ce, on cue, comme on dit à Lethbridge, ovation.

Au balcon, MM. Duceppe et Layton, coincés comme 99% des élus qui tentent d'avoir l'air vachement décontractés, ont applaudi, eux aussi.

C'est là que j'ai mis le doigt sur mon malaise.

Le milieu culturel est contre Stephen Harper. Contre le gouvernement conservateur.

Mais il est pour qui, le milieu culturel?

Pour le Bloc? Pour le NPD? Pour le PLC? Pour les verts?

Ce qu'on appelle la droite dans ce pays (qui serait la gauche aux États-Unis, je sais) est uni sous une bannière, la bleue, celle de M. Harper. Alors que la gauche (je sais, en France, le PLC serait à droite, mais vous comprenez ce que je veux dire), est divisée en trois au Canada et en quatre au Québec.

Mais là-dessus, pas un mot. Personne ne se mouille.

Mon malaise, hier soir au Club Soda, il était là. Dans la demi-mesure de l'engagement. Dans la mollesse du discours politique. Vous ne voulez pas Harper, d'accord.

Vous voulez qui, alors?

C'est sur le terrain politique que cette game se joue. Mais on aurait dit, hier, que les artistes faisaient un concert-bénéfice pour le Darfour ou pour mettre fin à la faim dans le monde. Ambiance de téléthon. Pluie de bons sentiments. Avalanche consensuelle contre les méchants de la droite.

En cela, remarquez, les artistes ne sont pas différents du reste des citoyens «ordinaires» qui ne veulent pas voir M. Harper garder son poste de premier ministre. Il y a tellement d'options pour protester contre lui qu'il va fort probablement gagner, le gaillard. Sans compter qu'il mène une campagne d'une efficacité redoutable.

À mi-spectacle, je suis sorti prendre l'air. À la SAT, où on accueillait les gens qui n'auraient pu entrer dans le Club Soda, l'endroit était presque vide. Sur la petite place, juste à côté, quelques dizaines de personnes regardaient le show en plein air, sur écran géant. Il y avait de la place en masse.

Disons que le peuple n'a pas exactement pris le centre-ville d'assaut pour appuyer la cause de la culture.

Affamé, je suis allé engloutir un hot-dog, au Pool Room. Dans l'auguste resto, j'ai reconnu deux gars, Richard et Johnny, qui travaillent au lave-auto où je fais décrotter ma Jetta à l'occasion.

- Qu'est-ce que tu fous icitte? La job? m'a demandé Johnny.

- Oui, oui, la job. Je couvre le concert des artistes pour la culture, ai-je répondu en montrant le brouhaha sur Saint-Laurent, à travers la baie vitrée.

Ça ne veut peut-être rien dire, ça veut peut-être tout dire, je ne sais pas trop, mais Johnny et Richard n'avaient aucune idée de ce qui se tramait dans la salle surchauffée, dans le Club Soda, de l'autre côté de la rue.

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