Note à la DPJ: après avoir lu les papiers de ma camarade Katia Gagnon, dimanche dernier, je vous autorise à me retirer la garde de mon héritier si je deviens fêlé comme les parents qu'elle décrit.Cordialement,Patrick L. 

Sérieusement, avez-vous lu les articles de Katia, dimanche dernier? 

Elle y décrit l'univers de ces enfants encore en âge de fréquenter la garderie, qui ont la «chance» d'avoir des parents qui n'attendent pas le nombre des années avant de faire comprendre à leurs rejetons que, dans la vie, il faut «performer».

>>> Consultez le blogue de Patrick Lagacé

Des parents qui parquent Julien ou Juliette dans des CPE où les enfants ne perdent pas de temps à niaiser. Niaiser? Enfin, je veux dire qu'ils ne perdent pas de temps à jouer, à courir, à ne rien faire. À être un enfant, quoi. Que non. Car il existe des CPE où l'enfant ne passe pas une minute sans être stimulé.

Quelques perles tirées des papiers consternants de Katia:

Des parents qui paient plus de 8000$ par année pour envoyer leurs enfants dans un établissement préscolaire où les petits génies savent compter jusqu'à 100. À 3 ans.

Des parents qui demandent à la directrice d'un CPE pourquoi on n'y offre pas de cours de violon ou d'informatique.

Un papa qui se réjouit du nouveau CPE de son enfant: «Les enfants ont tellement d'activités qu'ils n'ont pas le temps de jouer dehors!»

Bref, un véritable délire parental. C'est l'avènement de l'enfant Tupperware, qu'on remplit d'activités stimulantes et nutritives pour le QI dès son plus jeune âge. Un bocal qu'il faut remplir à ras bord pour assurer sa réussite future (réussite qui rejaillira immanquablement sur les parents, bien sûr).

Tiens, fiston, prends un peu de violon.

Prends aussi des sciences naturelles, du calcul.

T'as encore de la place, fiston, you still have room for un peu d'anglais.

Tiens, récite-moi du Prévert. Ah, Prévert! Comme Mamie va te trouver intelligent, pour ta fête de quatrième anniversaire, quand tu vas lui réciter ces vers...

O.K., là, t'es bien rempli, mon chéri. Va dormir en écoutant du Mozart...

* * *

Je déconne, mais pas autant que ces parents.

Katia évoque la maternelle Enfants des neiges, où on fait passer aux enfants des simulations d'examens d'admission à l'École internationale de Montréal, l'école dont les examens d'admission sont les plus difficiles.

Je répète: alors qu'ils sont en maternelle, on impose à des enfants de 5 ans une simulation d'examen d'entrée pour une école primaire. À 5 ans!

Imaginez la vie de ces enfants. Je sais que les parents vont se défendre à la vie et à la mort d'imposer une forme de pression à leur enfant, mais c'est de la bullshit. L'enfant ne peut pas ne pas sentir la pression du parent qui veut, qui espère, qui ambitionne, qui rêve de voir son trésor entrer à l'École internationale.

J'imagine le raisonnement du parent. L'École internationale, c'est stimulant. Et c'est un passeport pour Brébeuf au secondaire. Et tout le monde sait qu'un ado qui va à Brébeuf, c'est un ado qui a mathématiquement plus de chances de réussir dans la vie...

C'est sidérant. Et c'est, surtout, le symbole même de l'importance démesurée que les parents accordent à l'intelligence.

Car tous ces efforts pour stimuler l'enfant d'âge préscolaire n'ont qu'un but: développer son intelligence. On espère en faire un Einstein moderne en l'entraînant à compter jusqu'à 100 ou à réciter des vers de Prévert avant 3 ans.

Parce que, évidemment, un enfant intelligent deviendra forcément ingénieur de la NASA, inventeur du prochain Google ou Prix Nobel de littérature.

(Et parce qu'évidemment, si mon enfant est un génie, JE suis un génie...)

* * *

Je suis peut-être un mauvais parent, mais mon fils de 3 ans ne sait pas compter jusqu'à 10. Il ne connaît pas de poètes français. Il passe beaucoup de temps à jouer, par contre, tout seul, avec ses petites autos. Il se bâtit un univers avec ces bazous, et je sais qu'il y a de l'ordre dans cet univers.

Est-il surdoué? Je n'en ai rien à foutre. Je rêve, voyez-vous, d'un enfant moyen.

Qui saura lire, écrire, compter. Et qui sera curieux. Qui saura lancer une balle, botter un ballon, frapper une rondelle avec un bâton de hockey. Qui sera capable de se faire des amis. Qui n'aura pas peur de l'effort. C'est le gage d'une enfance salement plus heureuse que celle des enfants hyperstimulés qu'on a vus dans La Presse de dimanche dernier.

Évidemment, ces parents fêlés, ils ne savent pas ce qu'est une enfance heureuse. Ça ne se quantifie pas, le bonheur. Le QI, par contre...

L'autre jour, je jasais avec un ami, prof dans une école secondaire privée du 450. Il voit toutes sortes d'élèves. Il a vu arriver une nouvelle race d'élèves dans ses classes, au cours des dernières années: l'ado brillant et cultivé...mais qui finit par casser.

Littéralement: burn-out. À 13, 14 ans.

Derrière cet ado? L'ombre de ces parents fêlés dopés à la performance, qui ont transmis le virus à Petit Trésor.

Quand on te pousse dans le cul depuis l'âge de 5 ans, quand ta vie n'est qu'une suite de stimulations et de cours de violon imposés dans une optique de performance, c'est inévitable, non?

Je veux dire qu'après 10 ans de cet enfer, forcément, l'enfant Tupperware déborde.