C'est compliqué, cette crise. Il est question de concepts obscurs.

Subprime. Actifs garantis par des paiements hypothécaires. Et des produits dérivés.

Je ne sais pas c'est quoi, un produit dérivé.

Il faut un doctorat en mathématiques pour saisir les subtilités de ces concepts obscurs de la haute finance mondialisée.

Ce n'est pas moi qui le dis. C'est le Courrier international, il y a deux semaines:

«Le marché des produits dérivés () est à cet égard un modèle d'opacité. Il en est de même de tous ces produits d'endettement structurés qui découpent crédits hypothécaires, soldes débiteurs de cartes de crédit ou emprunts des entreprises de telle manière qu'il faut au moins un doctorat en mathématiques pour en évaluer les risques...»

Arrive l'État américain avec son plan de sauvetage de 700 milliards. En gros, ces 700 milliards visent à donner aux institutions financières le cash nécessaire pour faire crédit aux entreprises et particuliers. Et le crédit, c'est le moteur de l'économie. On n'en sort pas.

Le plan de sauvetage de l'économie américaine est lui-même compliqué. C'est 700 milliards, mais ce n'est pas vraiment 700 milliards, puisque l'État pourra un jour revendre les machins toxiques dont il se porte acquéreur.

Le remède est comme le mal. Compliqué, encore.

Mais ce qui n'est pas compliqué du tout, c'est la douleur.

Les Américains en souffrent de cette crise. Ils n'ont pas vraiment souffert de la guerre en Irak. Mais ils souffrent de cette bulle hypothécaire qui explose comme un kamikaze. En août seulement: 303 879 ménages américains, incapables de payer leurs mensualités hypothécaires, ont remis leur maison à la banque.

Ce qui n'est pas compliqué du tout, c'est l'histoire de Carlene Balderrama, 53 ans. Elle s'occupait des finances, dans la maison qu'elle occupait avec son mari et son fils, à Taunton, Massachusetts. C'est à elle que la firme hypothécaire PHH envoyait des avis de retards de paiement. Carlene n'a jamais parlé de ces pépins à son mari.

C'est à elle, en juillet, que PHH a envoyé un avis final: le mardi 22, sa maison serait mise aux enchères, pour cause de défaut de paiement.

À 17h, des vautours commenceraient à visiter la maison des Balderrama.

Carlene s'est plutôt suicidée avec la carabine de son époux, ce mardi après-midi.

On a trouvé une note près du corps de Carlene Balderrama: «Prenez l'argent de ma police d'assurance vie et payez la maison.»

Sept cents milliards de dollars, ce n'est pas «vrai». Des produits d'endettement structurés découpés en crédits hypothécaires non plus.

Mais votre maison qu'on vend aux enchères, ça, c'est vrai.

I focus on the pain, the only thing that's real, chantait Nine Inch Nails.

Les Américains ont aussi compris que les génies qui dirigent les infaillibles institutions financières qui plongent les États-Unis dans la tourmente «grâce» à leur clairvoyants placements s'en sont mis plein les poches, même quand l'orage grondait au-dessus du marché.

En 2007, par exemple, le PDG de Lehman Brothers a eu droit à une rémunération totale de 22 millions pour avoir présidé à un recul de la banque.

Toujours en 2007, Stan O'Neill, PDG de Merrill Lynch, est parti à la retraite avec un parachute de 161 millions. Cette année-là, la banque a perdu 8 milliards.

En 2006, le PDG de Bear Stearns, James Cayne, a empoché 33 millions.

Arrive le président des États-Unis, qui dit aux Américains qu'il faut sauver l'économie. Et peut-être que George W. Bush a raison. Il y avait consensus, avant le vote d'hier, parmi les économistes: ce plan de 700 milliards est vital pour éviter un mal plus grand encore. Pour éviter une récession. Une dépression, même.

Sauf que les Américains ont décidé, peut-être à tort, que la douleur n'est pas équitablement partagée, dans le plan de sauvetage de Henry Paulson.

L'Américain moyen, Carlene Balderrama par exemple, a souffert quand il a pris de mauvaises décisions financières. Il en a perdu sa maison. Il habite désormais dans son bazou. Dans un appart minable. Dans un village de tentes.

Les PDG de Wall Street, eux? Ceux qui ont pris de mauvaises décisions?

S'font bronzer sur leurs yachts

C'est une analyse simpliste, probablement. Mais la perception, c'est la réalité.

Et la réalité, c'est que le plan de sauvetage de Bush est vu comme un cadeau de l'État aux bonzes de Wall Street. Même s'il est vital.

Et la réalité, c'est que les 435 sièges de la Chambre sont en jeu, lors de l'élection du 4 novembre. Plusieurs des 228 congressmen qui ont fait dérailler le plan de sauvetage de Bush savent qu'ils vont souffrir, le 4 novembre, s'ils votent pour Wall Street.

Et pour comprendre ça, pas besoin d'un doctorat en maths.