Je suis donc à Trois-Rivières, première étape d'une tournée québécoise, question de tâter le pouls électoral, à une semaine du scrutin. Le pouls, donc?

Eh bien! la grosse histoire, ici, dans la capitale de la Mauricie, c'est Claude Durand. Ou les absences de Claude Durand. La candidate conservatrice, a boudé les débats (comme bien des candidats conservateurs from coast-to-coast) et fuit les journalistes (comme bien des candidats conservateurs from coast-to-coast).

 

Tiens, l'autre jour, dans Le Nouvelliste, Jean Isabelle a accouché d'une caricature qui résume tout: Mme Durand, cachée sous un lit, sort la tête, l'air effrayé: «Euh, la campagne est-elle finie?»

Devant la résidence pour gens âgés qu'elle vient de visiter, Claude Durand, blonde aux yeux bleus, me jure que la caricature n'a pas percé son armure de femme de tête.

«Si on ne vaut pas une risée, on ne vaut pas grand-chose...»

La candidate conservatrice m'explique qu'elle a préféré faire campagne «sur le terrain», plutôt que de faire des débats.

Sauf que Trois-Rivières, c'est une ville hautement médiatique. Il y a un quotidien. Il y a des radios. Il y a Radio-Canada, il y a TVA. Donc, les absences de Mme Durand ont été hautement remarquées. Ses gaffes et ses contradictions, aussi.

Une gaffe: elle invite un reporter de TVA à la suivre dans une tournée de poignées de main, dans une usine. Le reporter, Patrick Bégin, après, veut lui poser des questions. Non, pas de questions! TVA a montré Mme Durand fuyant le journaliste.

Une contradiction: en entrevue à la radio, elle dit à l'animateur Robert Pilote que, non, elle n'avait pas participé à la campagne (malheureuse) à la mairie de (l'ex-ministre péquiste) Guy Julien. M. Julien a alors fait une sortie pour préciser que si, si, Mme Durand y a participé. Que des réunions ont même eu lieu chez elle.

Et dans une ville où le maire, Yves Lévesque, est comme Dieu, c'est-à-dire qu'il sait tout, voit tout, entend tout, contrôle tout, tire toutes les ficelles, disons que la candidate conservatrice commençait sa campagne d'un fort mauvais pied. Je parle bien sûr de celui du maire, dans son arrière-train.

Mais hier, en cette fin d'après-midi ensoleillée, Claude Durand m'assurait que les gens qu'elle rencontre se fichent de tout ça. Se ficheraient même de l'inexistence (jusqu'à hier), d'un programme conservateur.

«Ils aiment M. Harper. Ils me le disent. Ils ont apprécié qu'il reconnaisse la nation québécoise. Qu'il apprenne si vite le français.»

Elle jure que sa campagne va bien. Pourtant, le sentiment, ici, est le même qu'ailleurs au pays: la campagne conservatrice a plafonné. La firme de communication HKDP a concocté un outil qui fait des prévisions basées sur tous les sondages publiés, tant à l'échelle nationale que régionale. Et dans Trois-Rivières, Paule Brunelle, la bloquiste, est donnée gagnante par 4000 voix.

«Peut-être a-t-elle eu des ordres de la campagne nationale», lance Mme Brunelle pour expliquer les absences de son adversaire conservatrice.

Et qu'est-ce qui préoccupe les gens de Trois-Rivières?

«Les fermetures d'usine. Les coupes en culture.»

Les coupes en culture? Moi qui croyais que les gens s'en fichaient, des artissssses.

«Il y avait déjà eu des coupes, dit Mme Brunelle. Dans les musées, dans la condition féminine. Mais en culture, ça a montré que deux idéologies s'affrontent. Ça a clarifié les choses.»

À 20h37, je bûche sur mon Mac pour accoucher de ce papier, au café Morgane. Mon iPhone se met à grouiller. Numéro inconnu. Je réponds.

«Alors, c'était bon, ce souper au Grill?»

Je ne sais pas à qui est cette voix. Mais la voix sait où j'ai soupé il y a une heure!

«Ici Yves Lévesque, maire de Trois-Rivières...»

Le hic, c'est que je n'ai pas laissé de message à M. Lévesque. Je ne sais pas comment il a eu mon numéro de portable. Quand je vous dis qu'il sait tout.

J'ai eu beau déployer tous mes trucs de journaliste hautement entraîné, M. Lévesque ne voulait pas me parler directement de la campagne conservatrice. C'est pourtant de notoriété publique qu'il n'a pas apprécié que M. Harper arrête dans sa ville sans venir le rencontrer. Qu'il réprouve l'absence d'un programme. Qu'il croit que la campagne du Bloc va bien.

«C'est important de dire ce que tu vas faire, quand tu te présentes.»

Trois-Rivières aura 375 ans en 2009? Là-dessus, Yves Lévesque est plus volubile. Il y aura un party, pas aussi gros que le 400e de Québec, mais il y aura un party. Le gouvernement Charest a donné 2 millions de dollars, dit-il. Ottawa?

«On ne sait pas. On n'a pas de nouvelles d'Ottawa. Ils ont donné 90 M$ à Québec, hors programme. Par décision ministérielle. On ne veut évidemment pas le même montant. Juste la même somme que le provincial.»

Il n'y a pas l'once d'une menace dans la voix du maire. Juste de la déception.

Personnellement, je me méfierais de la déception d'un maire qui sait tout, entend tout, tire toutes les ficelles de la ville et qui sait où les étrangers de Montréal vont souper quand ils débarquent dans sa ville.