On dit parfois, sur un ton bien grave et en secouant tout aussi gravement la tête, que les gens sont cyniques face aux politiciens.

Eh bien, depuis deux jours, à Québec, les élus déversent de l'essence sur le feu du cynisme à même le camion-citerne de Shell.

D'abord, il y a eu tout ce psychodrame autour de l'élection du président de l'Assemblée nationale. Misère, on aurait dit qu'on se choisissait un secrétaire général de l'ONU. Mais non, vous n'avez pas rêvé : il s'agissait (seulement) de sélectionner le député qui fera la discipline en Chambre.

M. Charest, boudeur, a refusé d'accompagner le péquiste choisi contre son gré vers son nouveau trône, comme le veut la coutume.

Soulignons ici que le choix de François Gendron a fait l'objet de grandes manoeuvres en coulisse. Il a fallu des semaines pour que le PQ et l'ADQ, en catimini, s'entendent sur un candidat qui aurait une grande qualité : ne pas être libéral. Des semaines !Puis, hier, pardonnez le cliché : coup de théâtre !

Deux députés adéquistes passent du côté du gouvernement ! Trahison ! Défection ! Drame !

On les imagine rencontrant M. Charest dans une Assemblée nationale sombre et déserte, tard mardi soir, à la Sergeï Koulikov dans Lance et compte II, pour dire au PM : «Jean, il faut nous aider, on veut passer à l'Ouest...»

Les transfuges s'appellent donc Auger et Riedl. Et si vous me dites que vous aviez entendu parler d'eux avant hier midi, je ne vous croirai pas. À moins que vous n'habitiez Iberville ou Champlain, les circonscriptions qu'ils représentent.

Pour M. Charest, illustres inconnus ou pas, c'est bien sûr un succès de relations publiques, en ce que les transfuges annoncent que la «marque» libérale a le vent dans les voiles (ce que confirment les sondages). Alors que la «marque» adéquiste a du plomb dans l'aile (ce que confirment les sondages).

M. Dumont a été brutalement franc, d'ailleurs. Il a dit que les deux recrues de M. Charest n'étaient pas parmi ses meilleurs éléments. Quand on sait le calibre bantam BB de plusieurs critiques adéquistes qu'on a pu voir publiquement...

Donc, jusqu'à hier midi, si je comprends bien, ces deux députés chantaient bien fort la chanson adéquiste. Passé midi, ils ont commencé à chanter la chanson libérale.

C'est leur droit le plus strict. Après tout, on vote pour des partis, pas pour les types souriants en cravate qu'ils affichent sur les poteaux, pendant les élections.

Mais qu'on ne vienne pas blâmer l'humble citoyen qui croit que les-politiciens-sont-tous-pareils ! La preuve...

Toujours dans le rayon du cynisme, si vous vouliez trouver des raisons de justifier le vôtre, hier, vous n'aviez qu'à regarder RDI.

La période des questions, post-défection, est devenue un épisode de politique-réalité, sauce Loft Story (c'est qui, déjà, l'élu qui est allé au show de TQS ?), intrigues, invectives et petit pathos à l'appui.

M. Dumont qui pose une question vache à M. Charest.

M. Charest qui répond en écorchant M. Dumont.

M. Dumont qui se lève pour écorcher M. Charest.

Le nouveau président, au milieu de tout ça, est pris à partie (si j'ai bien compris) pour avoir autorisé le chef adéquiste à utiliser le mot «caché», dans une question au PM, pour parler d'un rapport gouvernemental portant sur l'échangeur Turcot. Cinq minutes de gossage et de protestations et d'enfantillages et de hauts cris avant d'autoriser la question.

Le tout avec des sourcils gravement froncés et les dents serrées, comme si on débattait de questions hautement importantes pour l'avenir du monde libre tel qu'on le connaît. Heureusement, il y avait Sébastien Proulx pour injecter un peu d'esprit dans les échanges, ce qui n'est pas rien.

Évidemment, plus ça dérape, plus ça gosse, plus ça tombe dans les singeries, plus M. Charest est content. Pas parce que notre PM aime particulièrement les singeries, mais parce que plus l'Assemblée va ressembler à un zoo, plus il aura de raisons pour nous dire, sourcils gravement froncés et dents serrées, que l'Assemblée est dysfonctionnelle, qu'elle ne fonctionne plus, qu'il faut malheureusement s'en remettre au peuple pour faire le ménage (surtout que les sondages sont bons pour nous) dans les cages...

Quelques questions, si vous permettez, aux élus...

Pis, le CHUM, on le bâtit où ?

Pis, l'échangeur Turcot qui va nous tomber sur la tête ?

Pis, les stationnements incitatifs qui sont pleins ?

Pis, l'affichage en français au centre-ville ?

Pis, les salles d'opération vides ?

Pis, les kids de 15 ans qui dorment dans la rue ?

Pis, former la main-d'oeuvre en ces temps de crise qui approche ?

Pis, ça vous tente pas de gouverner ?