Paraît que les Calgariens (je sais, c'est moche, mais c'est le gentilé des gens de Calgary) ne manifestent pas souvent. Et pour les avoir vus manifester, hier, je peux aussi vous dire une chose : ils ne manifestent pas longtemps.

Vingt-cinq petites minutes. That's it. Assez pour dire à la coalition Layton-Dion (Duceppe) d'aller se faire voir.

Quatre orateurs sont venus fouetter la foule, où se mêlaient les drapeaux du Canada et des affiches faites maison. Le ton ? Fâché, mais pas trop. Quasiment bon enfant. Très patriotique, surtout. Très I AM CANADIAN. Par moment, je me demandais si j'étais dans une manif anti-coalition ou dans un party du Canada Day.

Monte Solberg, ancien ministre conservateur, a chanté les louanges de son ancien patron, Stephen Harper : « Quand il a été élu, où est-il allé, pour son premier voyage à l'étranger ? Est-il allé à Genève? Est-il allé aux Nations unies, à New York? Est-il allé à Washington? Non, il est allé dans les déserts d'Afghanis... »

Solberg n'a pas eu le temps de finir sa phrase. La foule, 2500 personnes massées devant le Centre des arts, l'a enterré de ses applaudissements. Évoquer les soldats de l'armée canadienne, évoquer l'Afghanistan : ça touche une corde sensible, ici. Surtout le week-end où le cap des 100 soldats tués là-bas a été franchi.

Ce n'était pas facile d'interviewer Ric McIver, après la manif : tout le monde venait serrer la main du conseiller municipal qui avait organisé l'événement. Je prenais des notes, en l'écoutant, et tout autour, les «Merci de te tenir debout pour le Canada, Ric !» et les «Le pays te remercie, Ric !» fusaient.

« L'opposition aurait pu utiliser les mécanismes en place pour travailler avec le gouvernement, m'a-t-il dit. Elle a choisi de ne pas le faire. Ils ont choisi une réponse égoïste, inappropriée. C'est aux élections qu'on se choisit un gouvernement.»

J'ai dit à McIver, fier propriétaire d'une énorme moustache, qu'au Québec, on redoutait un peu ces manifs, on avait peur que ça tourne au Quebec bashing.

Did you see any Quebec bashing, here, today?

Euh, non, Ric...

En effet. Au risque de décevoir les plus crinqués de la frange pure et dure de la secte de Falardeau, pas vu de Quebec bashing, comme tel, dans la foule. Des mots durs pour le Bloc, sur des affiches, oui. Mais pas un mot contre le Québec ou les Québécois, chez les orateurs. Et parmi les centaines d'affiches, j'ai eu beau chercher, pas une seule qui croquait de la grenouille.

Parlons-en, de ces affiches. Très colorées, très directes. Échantillon : COUPALITION SEPARATES CANADA ; 74% OPPOSED DION ; J'AI VOTÉ POUR UN PARTI, NOT A COALITION ; PENSEZ À NOS FESSES, PAS À VOS SIÈGES...

Et Harper ! Des dizaines d'affiches pro-Harper. Quand je suis parti à la recherche d'un taxi, j'entendais les gens scander «Harper! Harper! Harper!» Je me suis souvent fait dire, depuis mon arrivée en Alberta, que les gens apprécient Harper. Sans l'aimer follement.

Ah oui ?

Eh bien, je vous annonce que la coalition a fait de Stephen Harper une vedette rock, ici...

« Ce que la coalition fait, c'est légal. Mais c'est frustrant pour les Albertains qui ont voté pour le Parti conservateur, dit Chris Palmer. Oui, ce qu'a fait Harper, dans son énoncé économique, c'est ridicule. Mais il y avait moyen de travailler avec lui, sans essayer de le remplacer par cette coalition...»

Sean et James étaient là, chacun portant un énorme drapeau canadien. Sean : « Je n'avais jamais été assez choqué pour participer à une manif. Jusqu'à aujourd'hui !» James : «Si c'est devenu un enjeu d'unité nationale ? Non, je ne pense pas...»

Je dois dire, bien humblement, que je suis en complet désaccord avec James. Ces manifs se sont transformées en mouvement d'affirmation nationale. Tenez, après la fin des discours, la foule a spontanément entonné le Ô Canada. J'ai vu plus de drapeaux canadiens, hier matin, dans cette manif, que dans une année complète, au Québec.

On parle de crise, depuis le début de cette affaire. C'est vrai. C'en est une, même si elle reste bien artificielle. Mais hier, à Calgary, je ne pouvais pas m'empêcher de penser que les manifestants étaient, secrètement, un peu contents de cette crise.

Oh, juste un peu contents, j'insiste. Pourquoi ? Parce que ça leur permet de se sentir furieusement canadiens et que le Canadien moyen est rarement aussi heureux que quand il se sent, justement, canadien.