Ce n'est pas pour me lamenter, mais il fait un peu froid, en Israël. Je pensais trouver un climat chaud et sec. Il faut pourtant sortir avec une petite laine. C'est Montréal, en avril. Début avril.

Je sais, je sais. Je ne devrais pas me plaindre. Il y a pire, dans la vie, qu'avoir froid à Jérusalem-Est, en reportage, alors qu'on a accès à un hôtel qui offre l'eau chaude et le restaurant (lequel offre non-stop de la musique de flûte de pan, mais ça, c'est une autre histoire). Il y a Gaza, par exemple. Sauf que le froid a un rapport dans mon entrée en matière : Save the Children, l'organisme caritatif britannique, a prévenu que la mort par hypothermie guette de nombreux bébés coincés à Gaza. Parce qu'il fait froid, justement. Zéro, la nuit.

La bande de Gaza, depuis l'offensive israélienne, vit une crise humanitaire. Manque d'électricité. Manque d'eau. Blessés non soignés. Sinistrés coincés dans ce minuscule territoire qui ressemble à une botte à talon haut.

Une botte qui mange, ces jours-ci, de sérieux coups de pieds au cul.

L'ONU veut l'ouverture des frontières, pour que les Palestiniens qui le souhaitent puissent fuir Gaza.

La Croix-Rouge prévient qu'un demi-million de personnes risque de ne plus avoir accès, bientôt, à de l'eau potable, dans la bande de Gaza.

Depuis le 27 décembre, on compte 550 morts à la suite des bombardements israéliens, qui visent officiellement à faire cesser les tirs de roquettes sur le sud d'Israël. Depuis huit ans, le Hamas balance ces roquettes sur des villes comme Sederot.

Plus de 550 morts, donc, côté palestinien.

Dans l'avion, à côté de moi, il y avait ce jeune Américain, également citoyen israélien. Eli, 20 ans, du Maryland. Quelques poils dans le visage, kippa sur la tête. Il étudie en Israël pour devenir rabbin. Pour lui, pas de doute, pas l'ombre du poil d'un doute : Israël est une victime, dans toute cette affaire. Israël ne fait que se défendre.

«Ce sont des terroristes, martelait-il. Le Hamas est très bon : il se cache parmi les civils et quand les civils sont touchés, il dit que nous bombardons des innocents...»

Ces roquettes sont lancées depuis Gaza, depuis des années, donc. Elles peuvent atteindre des cibles israéliennes - un peu à l'aveuglette il est vrai, mais quand même - jusqu'à 40 km de Gaza. Depuis quelque temps, elles frappent de plus en plus loin de Gaza.

Donc, officiellement, Israël veut faire cesser ces averses de roquettes. Sauf que malgré les frappes de Tsahal, il pleut encore des roquettes sur le sud d'Israël.

Officieusement, chuchote-t-on, Israël aimerait bien, en guise de dommage collatéral, décapiter le Hamas.

Le Hamas, donc. Eh bien, comme un peu tout ce qui touche à cette région du globe, c'est une bibitte compliquée. Le Hamas est une milice de résistance islamiste doublé d'un réseau d'assistance sociale, oeuvrant dans les deux territoires occupés, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Il est considéré, par plusieurs pays, comme une organisation terroriste.

C'est aussi un parti politique, principal concurrent du Fatah.

Le Fatah, c'est le parti de feu Yasser Arafat. En 2006, le Fatah a perdu l'élection législative palestinienne. Une guerre civile entre les milices du Fatah et du Hamas a éclaté. Encore là, le Fatah de Mahmoud Abbas - toujours président de l'Autorité palestinienne, mais sans grande autorité - a perdu.

Résultat : le Hamas contrôle Gaza ; Abbas contrôle la Cisjordanie.

Bref, non seulement Israël fait la guerre au Hamas mais le Hamas fait la guerre au Fatah. Qui souffre ?

Les Palestiniens, en général. Ceux de Gaza, en particulier, ces jours-ci, qui vivent en direct les joies de frappes « chirurgicales » en réponse à ces roquettes, du manque d'électricité, des balles perdues, des hôpitaux en manque d'effectifs et de matériel. Et du manque de chauffage...

En attendant ma valise, à Ben-Gourion, je commence à jaser avec un Français, juif, établi depuis peu en Israël, qui attendait lui aussi ses valises, qui devaient venir (qui ne sont jamais arrivées) de Miami (un aéroport trou noir, comme chacun le sait).

Ah, vous êtes journaliste ? En tout cas, j'espère que vous allez dire la vérité.

La vérité ?

Enfin, être objectif. Ce que j'entends et je lis dans les médias internationaux, ce n'est pas la réalité. Ils font des Arabes des victimes. Regardez CNN, par exemple...

Quoi, CNN est pro-Palestine ?

Absolument.

Hier, sur mon blogue, ils ont été un million à m'écrire la même chose : j'espère que vous allez dire la vérité. C'est drôle, j'ai l'impression que pour 95 % des gens, la «vérité», c'est dépeindre l'«autre» camp comme le monstre absolu. Cet absolutisme-là me pèse déjà...

Ça me pesait avant de partir, même. Agnès Gruda, qui a effectué plusieurs voyages en Israël pour La Presse, qui est quasiment notre correspondante dans le coin, m'expliquait doctement, hier matin, quand j'étais encore à Montréal, la réalité des choses. La complexe, la laide, la cruelle réalité.

J'ai décidé de déconner, comme c'est trop souvent le cas, je lui ai dit :

Finalement, ce que tu me dis, Agnès, c'est que c'est quasiment aussi enflammé que la rivalité Canadien-Nordiques, tout ça...

Ah-ha, très drôle, a fait Agnès, arrête de niaiser...

Eh bien dans l'avion, la fille à ma gauche est originaire de Montréal. Masha, 26 ans. Un de ses amis venait la cueillir à l'aéroport, elle m'a offert de monter avec eux vers Jérusalem.

J'ouvre la porte arrière de la Mazda, et sais-tu ce que j'ai trouvé sur la banquette arrière de l'auto, Agnès ?

Eh oui, un drapeau du CH !

C'est un signe, c'est sûr, mais je ne sais pas lequel. Je sais, en revanche, que mes Montréalais errants, dans l'auto, ont parlé des récents succès du CH avant de parler de ces missiles et de ces roquettes.

Je n'ai malheureusement pas pu leur dire si Carey Price a encore bobo.