Imaginez un boss qui, pour pousser un employé à la retraite, le piégerait en l'enregistrant à son insu. Puis, cet enregistrement serait diffusé publiquement, devant environ 200 de ses collègues.

Puis, pour vraiment enfoncer le clou, pour «compléter la mise en échec», comme on dit au hockey, le boss révélerait à cette foule que l'employé a eu une aventure extraconjugale quelques années auparavant.

Dégueulasse, non?

C'est ce qui est arrivé à Daniel Andrews.

Ce qui rend l'histoire encore plus tordue, c'est que l'employeur de M. Andrews était... un syndicat. Eh oui! Ce syndicat, il est bien connu pour sa culture guerrière: la section locale 301 du SCFP. Le Syndicat des cols bleus de la Ville de Montréal.

Le «local 301» représente les employés cols bleus mais il agit également à titre d'employeur. Et à lire la décision, lapidaire, de la Commission des lésions professionnelles (CLP), c'est clair: le syndicat dirigé par Michel Parent, en tant qu'employeur, à l'interne, a une conduite digne d'un atelier de misère d'un autre temps.

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Résumons. Le 301 est dirigé depuis les années 80 par une équipe politique, l'Équipe unité. Son chef historique est Jean Lapierre. Ce dernier a pris sa retraite en 2003. Michel Parent l'a remplacé. Mais Lapierre est toujours dans le décor, comme «conseiller». Et dans l'immeuble de l'avenue Papineau, devant lequel trône son buste en bronze, il en mène large.

Fin 2005, des membres du bureau de direction du 301 décident de lancer une autre équipe politique en vue des élections de l'hiver 2006. Serge Lapointe, membre du bureau, s'affiche ouvertement comme candidat. Au 301, c'est du jamais vu. Car le 301, c'est l'Équipe unité. Et l'Équipe unité, c'est le 301.

Daniel Andrews, col bleu élu directeur syndical en 2001, appuie Lapointe.

Cet appui est vu comme une trahison par Lapierre. Une trahison contre l'Équipe unité et son dauphin, Parent, qui l'a remplacé. On lui fait la vie dure, au bureau.

Puis, Andrews tombe dans un piège. Un autre conseiller syndical, Jean-Pierre Moineau, l'entraîne dans une pièce, pour discuter d'une affaire de chèques de paie versés à deux retraités, Octave Paradis et... Jean Lapierre. Paradis et Lapierre sont encore sur la liste de paie. Mais peu de gens, au 301, le savent. Andrews l'apprend et il est outré. Il s'en ouvre à Moineau. Il critique vertement Lapierre et Parent.

Mais Daniel Andrews ne sait pas qu'il est, dans cette pièce, enregistré. Il est «piégé» par Moineau, selon la juge Perron.

Tous les mots durs qu'il a eus à l'égard de Lapierre et Parent seront diffusés, pour le bénéfice de quelque 200 militants syndicaux des cols bleus. Un véritable procès public.

Devant cette foule, vacherie épouvantable, Jean Lapierre dévoile un secret de la vie intime de son nouvel ennemi: il révèle que, quelques années auparavant, Daniel Andrews a eu une aventure avec la femme d'un col bleu. Michel Parent, grand boss du 301, assiste à la scène.

Brisé, Daniel Andrews échoue dans le bureau d'un médecin, quelques jours après. Le doc met le dissident en congé de maladie. Dans son rapport, il écrit: «Harcèlement au travail.»

La CSST a conclu, fin 2006, que Daniel Andrews avait subi, par les gestes de Lapierre, une lésion professionnelle qui a entraîné un trouble d'adaptation.

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La CLP, après six jours d'audience en novembre 2008, a maintenu la décision de la CSST. Et la juge Perron a eu des mots très durs pour la direction de la section locale 301:

«Il va de soi que les agissements du président sortant, M. Lapierre, entérinés par le président actuel, M. Parent, ne peuvent être considérés comme s'insérant dans un cadre normal de travail, quel qu'il soit...»

«Il n'y a aucune rationalité entre le fait de faire entendre l'enregistrement à des centaines de personnes et d'exposer la vie privée du travailleur et le bris de confiance allégué par l'employeur...»

Puis, cette phrase assassine: «L'employeur fait ce qu'il reproche au travailleur, il confond son rôle politique et son rôle d'employeur. L'employeur, quel qu'il soit, se doit de respecter ses employés et leur vie privée. Au surplus, lui-même étant un syndicat, il devrait prêcher par l'exemple.»

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Il y a trois ans, au JdeM, j'avais écrit sur cette culture de gros bras de la section 301, une culture qui n'a rien de so-so-solidaire envers les dissidents.

J'avais écrit, à l'époque, que Jean Lapierre était une brute. Celui qui avait promis «de passer sur le corps» de la ministre du Travail, Diane Lemieux; celui qui avait fait de la prison pour avoir défoncé les portes de l'hôtel de ville, n'avait pas aimé l'étiquette.

Il s'était plaint au Conseil de presse. J'avais été blanchi.

Mais au fond, Jean Lapierre a raison. Jean Lapierre n'est pas une brute.

C'est une sale brute.