Quand la société remet une arme de service à un flic, c'est le droit de tuer qu'elle lui donne. Ce n'est pas rien. C'est un droit encadré, balisé. Mais, je répète: ce n'est pas rien.

Est-ce trop demander que les policiers qui tuent dans l'exercice de leurs fonctions soient identifiés?

Apparemment, oui.

Jean-Loup Lapointe, en août 2008, a abattu un homme. Cet homme s'appelait Fredy Villanueva. C'était à Montréal-Nord.

 

L'affaire a causé les troubles que l'on sait. Au terme d'une enquête de la SQ (qui a permis aux policiers de ne livrer leurs versions des faits que plusieurs jours après le drame), l'agent a été blanchi. C'est-à-dire que le directeur des poursuites pénales et criminelles a examiné la preuve et a décidé que l'agent Lapointe n'avait pas commis d'acte criminel, ce soir-là, au parc Henri-Bourassa.

Mais les troubles, justement, ont secoué bien des puces. Les élus ont opté pour une enquête publique sur la mort de Villanueva. Elle aura lieu prochainement.

Donc, l'agent Lapointe va témoigner. De même que sa partenaire, Stéphanie Pilotte, celle-là même que Lapointe voulait défendre en faisant feu sur les trois jeunes hommes avec qui elle se débattait.

Mais les avocats des agents Lapointe et Pilotte réclament une mesure sidérante et exceptionnelle du juge Robert Sansfaçon: ils veulent un black-out médiatique sur l'identité des policiers.

C'est sidérant. Mais il y a un précédent: la coroner de l'enquête publique sur la mort de Martin Suazo avait interdit la diffusion d'informations permettant d'identifier les policiers impliqués dans le drame. La Cour supérieure avait cassé la décision. Et la Cour d'appel, rappelait cette semaine Le Devoir, avait contredit la décision de la Cour supérieure, au nom de la sécurité des policiers, menacés, disait-on à l'époque, de représailles.

Des menaces de représailles? Je veux bien. S'il y en a, qu'on protège ces policiers. Mais dans le cas des agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte, officiellement, leurs avocats n'ont pas expliqué leur requête.

******************************

Évidemment, le fait que des petits comiques aient placardé, un peu partout en ville, des autocollants décrivant l'agent Lapointe comme un «flic-assassin» est fort déplaisant pour lui. C'est comme ça.

Sauf qu'on ne vit pas au Mexique, aux dernières nouvelles, ou dans une autre république de bananes du genre. Au Mexique, ces jours-ci, les flics tombent comme des mouches, ciblés par le crime organisé. On les comprend de protéger leur anonymat et de faire des arrestations cagoulés.

On n'a pas affaire, dans le cas de Montréal-Nord, à des menaces de représailles de tueurs sophistiqués de la mafia. On a affaire à des ti-culs fâchés, au mieux, à de petits truands, au pire.

Essayez de connaître l'identité d'un policier, au Québec, qui fait feu sur un citoyen. Que ce dernier meure ou pas. Bonne chance. Black-out. Si vous l'apprenez, ce sera entre les branches. Pas officiellement.

Pourquoi insister pour savoir?

Laissez-moi vous parler de David Simon. Cet ancien journaliste, créateur de la série policière The Wire, à HBO, habite Baltimore, dans le Maryland. Récemment, il a été intrigué par l'histoire d'un homme de 61 ans, abattu chez lui par une policière. L'homme n'était pas armé.

Simon a été encore plus intrigué quand il a constaté que son ancien journal, le Baltimore Sun, n'a pas fait de suivi sur cette affaire. Il a décidé de mettre son ancien chapeau de journaliste de faits divers et d'enquêter. Il a d'abord demandé au service de police de Baltimore l'identité de la policière.

Contrairement à il y a 20 ans, la réponse fut non. Déjà, dit Simon, il y a là un mépris du droit du public à l'information. Un policier TUE un citoyen et on ne peut pas connaître son nom?

Mais David Simon a fini par savoir le nom de la policière. Il a fini par savoir, aussi, qu'en 2005, elle s'est fait désarmer par un suspect dont elle avait la garde, suspect qui a pris la fuite en tirant avec l'arme de service de la policière. Ce n'est pas rien. Ce n'est pas un détail.

Pour l'ancien journaliste, peut-être que l'agente avait une bonne raison d'abattre un homme de 61 ans, non armé, dans sa maison. Mais, dit-il, si on ne connaît pas son nom, on ne peut pas faire de liens avec des événements passés. On ne peut pas poser de questions.

Sauf que, justement, pour poser des questions, pour ne pas avaler tout rond les communiqués de presse d'avocats, de relationnistes et d'officiels, il faut un minimum de transparence.

*****************************

Dans le cas des agents Lapointe et Pilotte, j'ai écrit deux trucs à la fin de l'été dernier.

Primo, selon ce que des témoins ont raconté, il est assez clair que la policière a été attaquée. Et quand on saute sur un (e) flic, c'est toujours, toujours, toujours une mauvaise idée. Le risque que la bagarre finisse mal est énorme. Les assaillants ont pris ce risque stupide, pour «défendre» le frère de Fredy, Dany, récemment sorti de prison, que les policiers interpellaient.

Deuzio, la SQ a mystérieusement attendu des jours et des jours et des jours avant de poser des questions aux deux policiers. Un proprio de dépanneur qui aurait tiré sur un voleur dévalisant son établissement aurait été interrogé immédiatement, selon les règles de l'art de l'enquête policière, qui commandent qu'on recueille les déclarations des protagonistes le plus rapidement possible.

Ça n'a pas été le cas. Et ça n'honore pas cette enquête.

S'il faut, en plus, que le juge Robert Sansfaçon permette un black-out sur l'identité de ces policiers, je ne vois pas comment on pourrait blâmer les proches de Villanueva de crier au complot.

Pour l'agent Lapointe, je l'ai dit, c'est déplaisant d'être dépeint comme un meurtrier. Mais le travail de policier, dans une société ouverte, au XXIe siècle, ça inclut ces désagréments. Ça vient avec la job, quand on tue un citoyen.

J'ouvre ce matin une discussion sur mon blogue à ce sujet: cyberpresse.ca/lagace