C'est l'histoire d'une ville qui dit non, non et non.

Ça commence avec les écologistes, qui sonnent l'alarme devant un projet de développement. Premier non.

Par la suite, les médecins s'informent du projet. Et ils sont si outrés que 30 d'entre eux menacent de démissionner s'il se réalise. Deuxième non.

Puis, prenant acte de cela, le conseil municipal adopte une résolution demandant un moratoire sur ledit projet. Troisième non.

La ville en question, c'est Sept-Îles. Elle est au coeur de la résistance à un projet dont vous n'avez fort probablement jamais entendu parler, parce que c'est essentiellement une histoire de régions : l'exploitation de mines d'uranium au Québec.

Le Québec est un paradis minier, le gouvernement Charest s'en vante régulièrement. Les mines font travailler 50 000 personnes, de l'Abitibi à Natashquan.

Zinc, or, titane, argent, cuivre, fer : notre sous-sol est riche. On y trouve même de l'uranium, le métal radioactif qui sert à fabriquer des centrales nucléaires et des bombes atomiques. Le Bouclier canadien regorge d'uranium : le Canada est le plus grand producteur mondial d'uranium.

Il n'y a pas de mines d'uranium au Québec.

Mais ça pourrait changer.

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Ça pourrait changer et ça enrage Bruno Imbeault, pneumologue et visage de la résistance des médecins de Sept-Îles aux mines d'uranium dans la région. Il a signé, avec une trentaine de collègues, une lettre réclamant un moratoire sur l'uranium.

Ce qui inquiète les médecins? L'impact de l'exploitation de l'uranium sur l'environnement immédiat et, par ricochet, sur la santé des gens.

«Une chose est claire: quand des études sur les mines d'uranium sont publiées par des gens qui font de la science fondamentale, leurs conclusions sont catastrophiques. Quand elles sont publiées par des gens qui ont des liens avec l'industrie minière, ces études constatent des effets... neutres!»

L'uranium est un métal difficile à aimer, disons. L'uranium, c'est le nucléaire. C'est Tchernobyl, c'est Hiroshima, c'est des bébés à deux têtes.

L'industrie minière est elle-même une industrie difficile à aimer. Une sorte de mal nécessaire, parce qu'elle fournit de bons emplois. Mais une mine, c'est de la pollution au cube.

Mariez l'uranium et l'industrie minière et vous avez, un peu partout en Occident, une opposition farouche quand une compagnie souhaite extraire ce minerai. En Colombie-Britannique, depuis 1980, un moratoire frappe l'uranium.

Et c'est l'Association médicale de la Colombie-Britannique qui a porté le coup fatal à son exploitation, à l'époque, avec un rapport coup-de-poing sur l'impact des mines d'uranium sur la santé humaine.

Quand l'uranium dort incrusté dans le roc, il ne dérange personne. Pour l'extraire, il faut creuser et l'extirper de ce roc, à grands coups de jets d'eau. On entrepose les résidus dans des bassins. Des résidus qui ont été en contact avec l'uranium.

Mais qu'arrive-t-il si ces bassins fuient? S'ils contaminent la nappe phréatique, les cours d'eau?

L'industrie, évidemment, se fait rassurante. Vante ses méthodes sécuritaires.

Les opposants, eux, citent le cas des Indiens Navajos du Nouveau-Mexique, où des mines d'uranium ont contaminé l'environnement. Citent l'étude des médecins de la Colombie-Britannique.

«Quand on veut être responsable, dit le Dr Imbeault, on fait des études avant d'autoriser les mines d'uranium.»

La Colombie-Britannique, l'Irlande et certains États américains ont décrété des moratoires sur l'exploitation de l'uranium, rappelle le pneumologue.

«Pourquoi, au Québec, on dit oui?»

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Autour du lac Kachiwiss, près de Sept-Îles, Terra Ventures a percé 89 trous, pour un total de 30 000 m de forage, afin de déterminer si le roc contient suffisamment d'uranium pour y creuser une mine. La minière de Vancouver semble optimiste.

Le simple fait que Terra Ventures ait obtenu les permis pour mener des tests enrage les opposants, comme Marc Fafard, chef de la résistance citoyenne à l'uranium, à Sept-Îles.

Récemment, avec d'autres militants, Fafard a investi le site de Terra Ventures, qui était désert, pour y photographier ce que ces opposants considèrent comme des infractions aux règles environnementales.

«Tiens, regarde ces photos. Tu vois ces trous ? Ça devrait être bouché avec du béton. Et regarde...»

Assis au restaurant Omer avec Marc et ses amis, je regarde la photo. Un simple chiffon bouche le trou.

Marc est outré. Ses amis aussi. Pour eux, c'est la preuve que Terra Ventures se fiche des normes environnementales. Je ne sais pas s'il a raison. Je ne sais pas si cette photo dit toute l'histoire. Je n'étais pas là quand elle a été prise.

Ce que je sais, par contre, c'est que, plus largement, l'encadrement de l'industrie minière au Québec est une blague lugubre.

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Le vérificateur général du Québec a sonné l'alarme au printemps. Entre 2002 et 2008, 14 entreprises minières ont fait un chiffre d'affaires de 4,2 milliards au Québec. Les redevances qu'elles ont payées à l'État? Un maigre 1,5%!

L'État pourrait réclamer 12% des profits de ces minières. Mais d'allègements fiscaux en frais d'amortissement, l'industrie parvient à réduire au minimum les redevances qu'elle paie au fisc.

En plus de ces redevances « dignes d'une république de bananes», selon la formule du député solidaire Amir Khadir, les minières jouissent d'un autre bonbon sucré à souhait, gracieuseté de l'État québécois: elles n'ont pas à ramasser leur merde après avoir quitté une mine.

Vous ne rêvez pas. Une minière n'a pas à payer la décontamination d'un site qu'elle a exploité. Québec le fait à sa place. Et paie la facture. Coût : 264 millions de dollars en 10 ans pour nettoyer 345 sites contaminés. Il paraît que la nouvelle Stratégie minérale du Québec va mettre fin au régime des profits privés et du décrassage public.

C'est dans ce contexte que les opposants à l'uranium se battent. Dans un contexte où le sous-sol du Québec ressemble à un bar ouvert pour les minières. Dans un contexte où le ministre délégué aux Ressources naturelles, Serge Simard, parle de «compétitivité» quand on lui parle d'environnement.

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Je ne sais pas si l'extraction de l'uranium est dangereuse pour la santé.

Ce que je sais, c'est qu'à Sept-Îles, on dit non, non et non. Malgré ce triple non de la population, des médecins et des élus, on cherche encore de l'uranium à Sept-Îles.

«S'il y avait de l'uranium dans la région de Montréal, dit le Dr Imbeault, pensez-vous qu'on l'exploiterait, avec une opposition équivalente? La centrale thermique du Suroît a été battue et c'est parce que c'était situé près de Montréal. L'isolement joue en faveur de l'exploitation. C'est clair.»