Pierre Cormier est de cette race de maires de petites places qui voit grand. Ami du développement, des épiciers et des entrepreneurs. Le maire d'Havre-Saint-Pierre est également de cette race d'hommes qui conduit sa grosse Ford noire avec deux doigts, l'index et le pouce.

M. Cormier, un après-midi de tempête, m'a fait faire le tour de sa ville, qui bouillonne grâce à ce grandiose barrage qu'Hydro-Québec a commencé à construire sur la rivière Romaine, pas loin d'ici. En ville, on voit partout des tracteurs et des caravanes servant à abriter les travailleurs du chantier, dont on construit la route.

Les essuie-glaces de la Ford balaient furieusement la pluie, pendant que le maire arrête sur un terrain fraîchement déboisé, dans une rue toute neuve.

«Ça, c'est un nouveau quartier résidentiel. Vingt-deux lots. On prévoit un projet de 132 lots, au total. Y a de la grosse pression. Faut que ça aille vite. Faudrait que ce soit fait depuis hier...»

C'est que «le Havre», comme on dit, est le point d'entrée du chantier de la rivière Romaine, le plus gros chantier au Canada. En 2020, quand 6,5 milliards auront été injectés, le complexe hydroélectrique de quatre centrales fournira 1550 mégawatts d'électricité annuellement à Hydro-Québec.

«Le Havre va en profiter, c'est sûr. Tiens, tu vois les épinettes ? C'est là qu'on va agrandir le parc industriel.»

Partout dans le village, le drapeau acadien est roi. Jamais vu autant de drapeaux tricolores frappés de l'étoile jaune. En 1857, des Acadiens des Îles-de-la-Madeleine ont fondé le Havre. On appelle d'ailleurs les habitants du village les Cayens. M. Cormier a d'ailleurs un accent acadien à couper à la pince de homard...

Le chantier de La Romaine va faire travailler les gens du coin, assure le maire : opérateurs de machinerie, manoeuvres, menuisiers, électriciens, etc. Sans oublier cette proverbiale économie locale, qui va rouler. Qui roule déjà, note le maire, en me montrant l'héliport du Havre, où j'ai compté sept hélicos...

Et l'opposition à La Romaine? «Ça vient d'en dehors de la région!»

Le pire, c'est que c'est vrai. Il y a des opposants à La Romaine sur la Côte-Nord, mais disons qu'ils sont aussi difficiles à trouver que des bars d'effeuilleuses en Arabie Saoudite. Les opposants au projet d'Hydro, mobilisés par la Fondation Rivières, notamment, habitent hors de la région. Signe que La Romaine rallie les Nord-Côtiers : Québec Solidaire, qui favorise la filière éolienne, a dû appuyer le projet, à contrecoeur...

«Sans La Romaine, des villages auraient fermé, dit le maire. Déjà que sept villages sur huit, en Minganie, sont dévitalisés...»

Pierre Cormier, également préfet de la MRC de Minganie et ex-candidat libéral dans Duplessis, a négocié les redevances avec Hydro-Québec. Le pactole : sur 50 ans, c'est plus de 700 millions qui tomberont dans les coffres des huit municipalités de la MRC de Mingan, dont 50% dans ceux de Havre-Saint-Pierre. Quelques villes vont recevoir plus en redevances annuelles que leur budget annuel...

«Avec les redevances, on va pouvoir faire du développement économique, dit le maire. Développer le tourisme, de Rivière-au-Tonnerre à ici. Tout le monde y trouve son compte. Et avec tout l'argent du chantier, nos jeunes vont commencer à revenir. Déjà qu'on a un gros sentiment d'attachement à notre place...»

Un mot sur J.-M. G. Le Clézio, auteur français, Prix Nobel de littérature 2008, qui a fustigé le projet de La Romaine, Monsieur le maire?

«Y sait pas de quoi qu'y parle!»

Connaissez-vous la poétesse innue Rita Mestokosho, d'Ekuanitshit, qui s'oppose au projet, celle que Le Clézio a citée dans sa lettre au journal Le Monde?

«Non. Pis à Ekuanitshit, ils ont appuyé le projet à 76%, dans un référendum. Tout le monde est pour...»

Au coin de la rue du Fer et de la rue du Titane - hommage, j'imagine, à l'usine QIT Fer et Titane -, monsieur le maire me dit que c'est un véritable boom économique que vit le Havre: «On connaît pas ça, la récession.»

Et toutes ces rivières qu'on harnache?

«On n'harnache pas toutes les rivières, ça c'est pas vrai. Tiens, il y en a qu'on soustrait aux barrages, comme la Manitou...»

Voilà. Pierre Cormier est un homme pour qui le bonheur passe par le développement. Havre-Saint-Pierre se développe grâce à l'électricité et il en est très heureux. Ses concitoyens aussi, d'ailleurs, l'affaire est entendue, et les opposants sont vaguement hérétiques. J'ai quitté le maire en refusant son offre se siroter un scotch dans son salon, en me disant que c'est un excellent vendeur...

C'est, d'ailleurs, le terme exact: vendeur. Le maire croit à La Romaine, oui. Mais Hydro-Québec, a révélé Marie-Ève Lacas, de Radio-Canada, a versé 12 millions à sa MRC pour faire des maires du coin, dont celui du Havre, des «partenaires» qui défendent le projet et en font la promotion publiquement. Je l'ai su après ma rencontre avec M. Cormier...

Je l'ai déjà écrit : je ne suis pas contre ce projet. J'aurais juste aimé que le maire me dise, dans sa Ford, qu'il était en représentation pour Hydro. Je ne me serais pas senti comme le nono qui vient de s'acheter un AbRoller au canal des infopubs. Légèrement floué...

HISTOIRE DE PAILLE - Ne me demandez pas pourquoi, mais à Sept-Îles, ils boivent le café de Tim Hortons à la paille. Comme ça, par défaut, les employés plantent une paille dans le couvercle. Ne me demandez pas pourquoi. C'est un mystère. Plus grand, peut-être, que le succès du café de TH...

UN NOM QUI FAIT BOUM - Ne me dites pas que Rivière-au-Tonnerre n'a pas le plus joli nom de village de toute la Côte-Nord, je ne vous croirais pas. Répétez après moi : Rivière-au-Tonnerre, Rivière-au-Tonnerre, Rivière-au-Tonnerre. C'est viril et ludique à la fois, deux trucs difficiles à concilier.