Une confession, en ce début d'octobre 2009: je suis tanné d'avoir peur. Voilà. C'est dit. Je n'ai plus peur, dès aujourd'hui. Ça commence ce matin. Enfin, hier soir, puisque j'ai écrit ce texte hier soir.

J'ai eu très peur, ces dernières années.

Le bacille du charbon.

Le virus du Nil occidental.

 

L'autre cochonnerie, dont j'oublie le nom, là, qui nous forçait à nous essuyer les pieds en descendant d'avion.

La grippe aviaire.

Est-ce que j'en oublie?

Ah, oui, le SRAS.

J'ai décidé que, non, il y a quand même une sacrée limite, je ne vais pas avoir peur, en plus, de la grippe porcine, cette grippe qui a muté, au chapitre terminologique, en grippe A (H1N1).

Parce que c'est pas des farces, quand même. Il ne faut plus se serrer la main, il faut traîner son Purell. Tout ça pour éviter la propagation du virus, qu'on dit plus virulent que celui de l'influenza, qui cause la grippe normale et qui assomme, comme chacun le sait, sept jours ou une semaine, selon sa virulence.

Des églises ont même banni l'eau bénite pour éviter la propagation du virus. Heureusement, je ne vais pas à l'église...

Donc, bref, je n'ai pas peur de la grippe A (H1N1).

Et je n'ai pas peur des vaccins. Voilà. C'est dit.

Vous pouvez m'enlever immédiatement des listes d'envois de vos courriels qui «révèlent» la «vérité» au sujet du lien secret entre les États, le virus et les grands laboratoires pharmaceutiques.

Je sais, je sais. Il y a des courriels qui circulent. Ils proclament la vérité: les vaccins, c'est de la merde, une invention de Big Pharma pour faire du fric et, accessoirement, peut-être, qui sait, réduire la population mondiale.

Tenez, au moment où j'écris ces lignes, ma messagerie clignote: un courriel qui m'incite urgemment à regarder le documentaire Silence, on vaccine, de l'Office national du film (ONF), sur Google Vidéo.

Avec ce message quasiment haletant: «L'ONF a permis la sortie du documentaire sous condition qu'aucune personne, aucun commerce, ne puisse acquérir le film pour la revente. De plus, aucune publicité ne sera faite pour faire connaître la sortie DVD...»

Il n'y a pas eu plus, ou moins, de publicité faite par l'ONF pour ce documentaire. Et si l'ONF veut «cacher» ce docu, pourquoi l'avoir financé? Pourquoi l'ONF offre-t-il, sur son site, des extraits du film? Un lien vers la boutique virtuelle où on peut acheter le DVD de Silence, on vaccine?

Pour une société d'État qui veut cacher la «vérité», on a déjà vu mieux...

Écoutez, je me souviens encore de mes notes dans les rares cours de science que j'ai suivis: ça me pousse à un peu d'humilité quand j'aborde le sujet. Je suis loin d'être docteur en physique quantique, disons.

C'est pourquoi, en science, je suis un mouton. Je suis la majorité.

Le climat, par exemple. Bien sûr, il y a une poignée de scientifiques qui doutent du réchauffement climatique. Mais l'immense majorité des experts qui font métier d'étudier le climat disent qu'il se réchauffe. Et que c'est la faute de l'homme.

Je suis de leur bord.

Autre exemple: l'évolution. Oui, il y a des biologistes qui pensent que l'homme a été créé par le «dessein intelligent» de Dieu. Mais l'immense majorité des biologistes sont convaincus que l'homme descend du singe, dont la naissance est une sorte d'accident de la nature mais qui s'est si bien adapté qu'il peut désormais, ce singe, regarder Occupation double sans faire de crise d'épilepsie...

Je suis de leur bord. Du bord du consensus.

Et c'est la même chose avec les vaccins. Je suis du bord du consensus. Et le consensus dit que, sans être 100% inoffensive, la vaccination est un plus pour l'homme.

La vaccination massive a éradiqué une nuée de maladies infectieuses mortelles et débilitantes. Ne plus mourir en bas âge de la poliomyélite, par exemple? Pardonnez-moi de croire que c'est une avancée formidable.

Chaque époque a ses psychoses. À 15 ans, ma mère me traînait dans des conférences de conspirationnistes. Je me souviens, un dimanche d'été, à l'UQAM, un conférencier nous assurait, rétroprojecteur en renfort, que le sida était une création du gouvernement américain. C'était en 1987. Et, pour lui, c'était clair: le sida, c'est la CIA qui l'a disséminé, à travers le Coke diète...

Ben quoi?

Le Coke diète et le sida sont apparus aux États-Unis à peu près en même temps. Avouez que c'est louche...

Aujourd'hui, le sida n'est plus à la mode au supermarché de la peur. La peur, c'est comme les poires: ça ne reste pas frais longtemps. À chaque époque ses angoisses, intimement liées à l'actualité. Aujourd'hui, la psychose, c'est la grippe et les vaccins.

Autre époque, mêmes conférences qui carburent à la peur. Ma collègue Pascale Breton a parlé à l'un de ces Einstein du complot grippal, qui dissémine son message de sceptique dans des conférences à 20$ le ticket.

J'en retiens que la conférence, comme la pilule, c'est une industrie...

Antoine Vitkine, dans son livre Les nouveaux imposteurs, a superbement décortiqué la mécanique des théories du complot et les tactiques de leurs adeptes. À L'Express, il a déclaré, en 2008, en parlant du 11 septembre: «La théorie du complot apporte un certain confort à ceux qui y adhèrent, parce qu'elle donne une explication simpliste. Il est plus rassurant de rationaliser le mal, de se dire que le mal est le fruit des manigances du gouvernement américain et non des agissements de terroristes radicaux.»

Répétez après moi: il est rassurant de rationaliser le mal. J'aime cette phrase. Toute la psychose de notre époque est là, dans ces sept petits mots. Un peu de notre crédulité, aussi.