Le plus grand syndicat du pays, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), est en ville pour son congrès annuel: 2600 délégués from coast to coast débarquent à Montréal. Ça me rassure: le SCFP sait où se trouve Montréal.

Je le souligne parce que lorsqu'on s'attarde à la façon dont Serge Lapointe a été traité par le SCFP, il est permis de douter que le SCFP puisse situer Montréal sur le globe terrestre.

Serge qui?

Serge Lapointe. Col bleu à la Ville de Montréal depuis 1985. De 1996 à 2005, il a milité au puissant syndicat des cols bleus, la section locale 301 du SCFP. Aux côtés du chef Jean Lapierre. Puis de son successeur, Michel Parent, élu en 2003.

Puis, fin 2005, il y a eu un schisme chez les bleus. Pour la première fois depuis des lustres, l'Équipe Unité, dirigée par Parent et Lapierre, a été défiée aux élections de la section 301. Des dissidents ont monté, sur fond de tensions internes, l'Équipe Démocratie. Son chef: Serge Lapointe.

M. Lapointe a perdu, récoltant tout de même 40% des voix. Cette défaite a marqué, pour ses camarades et lui, le début d'une purge d'inspiration stalinienne menée par MM. Lapierre et Parent et par le politburo de l'Équipe Unité.

Les dissidents ont été bannis de certaines activités syndicales pour des périodes diverses. Dans le cas de Serge Lapointe, il lui est interdit de se présenter aux assemblées syndicales pendant trois ans et de briguer tout poste à la section 301 pendant cinq ans.

Serge Lapointe et trois autres dissidents font également face à une poursuite en diffamation au civil, gracieuseté de MM. Lapierre et Parent, pour la bagatelle de 500 000$.

Les frais juridiques de MM. Lapierre et Parent sont payés par le syndicat des cols bleus.

Pas ceux des dissidents.

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Ce qui nous amène au SCFP. Serge Lapointe a décidé de contester sa suspension auprès des instances du SCFP.

Mais le SCFP a tout fait pour rendre cet appel difficile.

Un, le comité d'appel du SCFP a convoqué les parties à... Toronto!

L'avocat de Serge Lapointe a demandé un changement de lieu au SCFP. «Il aurait fallu que Lapointe paie les frais de déplacement et d'hébergement de tous ses témoins à Toronto, relate Me Daniel Pelletier. Tous ces gens auraient dû manquer des jours de travail. Personne n'a ce genre de moyens.»

Le SCFP s'est rendu aux arguments de Me Pelletier. Il a déplacé les audiences à... Ottawa!

Pour le syndicat des cols bleus, Toronto ou Ottawa, aucun problème: ses frais sont payés par les membres du syndicat.

Pour Lapointe, Toronto ou Ottawa, même problème: il faut déplacer et héberger une demi-douzaine de personnes.

Pourquoi ne pas avoir convoqué les parties à Montréal, comme le demandait Me Pelletier? Les trois membres du comité d'appel provenaient, de toute façon, de partout au pays. Mystère et boule de gomme. «Le tribunal d'appel rejette aussi cette demande», a écrit sans plus de détails John Elder, chef du service juridique du SCFP, dans une lettre à Serge Lapointe.

Deux, le SCFP a programmé les audiences du comité d'appel en plein dans les vacances annuelles de Serge Lapointe! Les protestations de son avocat à ce sujet ont été sans effet.

Trois, le SCFP a interdit à Me Daniel Pelletier de représenter Serge Lapointe devant le comité d'appel. C'est le syndicat des cols bleus qui a réclamé la récusation de Me Pelletier. MM. Parent et Lapierre considèrent que Me Pelletier, qui a déjà agi à titre d'avocat de la section locale 301, n'est pas impartial.

La Cour supérieure du Québec (dans la poursuite en diffamation) a refusé d'exclure Me Pelletier du dossier. Le syndic du Barreau a aussi jugé que Me Pelletier n'est pas en conflit d'intérêts et peut représenter Serge Lapointe devant les tribunaux civils et administratifs.

Mais le SCFP, au motif que Me Pelletier n'est pas «membre en règle» du mouvement syndical (ce que l'avocat conteste), l'a exclu du dossier.

Quatre, Me Pelletier a été exclu des travaux du comité d'appel deux jours avant le début des audiences!

«Une demande illogique, grogne Me Pelletier. C'est clair: on voulait que Lapointe soit mal représenté.»

J'ai demandé une entrevue au SCFP dimanche. On m'a organisé un rendez-vous prévu pour aujourd'hui avec le secrétaire général Claude Généreux. J'ai demandé que la rencontre ait lieu plus tôt. On a refusé. Hier, j'ai envoyé au SCFP les thèmes de cette chronique, le pressant de fournir des commentaires pour ce papier. Le SCFP a encore refusé. M. Généreux devrait commenter aujourd'hui.

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Donc, je résume. Serge Lapointe a interjeté appel. Mais pour plaider sa cause, il devait payer de sa poche les frais de déplacement et de séjour à Ottawa d'une demi-douzaine de personnes, sacrifier ses vacances, sans être représenté par l'avocat qui le défend contre la section locale 301.

Lapointe a jeté l'éponge. Il a choisi de ne pas se présenter devant le comité du SCFP en juin 2008.

«C'était David contre Goliath, m'a lancé Serge Lapointe, dans une rôtisserie de la rue Sherbrooke, mardi soir. Une parodie de justice. Pourquoi le SCFP m'a-t-il traité comme ça? Money talks, dit-il. Le syndicat des cols bleus envoie 2 millions par année en cotisations au SCFP. Je ne vois pas d'autre raison.»

Le comité d'appel du SCFP a entendu l'appel de Serge Lapointe. Sans lui, son avocat et ses témoins. Le 11 juillet 2008, la décision est tombée.

Le SCFP a débouté Serge Lapointe sur l'essentiel de son appel.