La Sûreté du Québec va diriger une nouvelle escouade qui s'attaquera aux magouilles dans le monde de la construction. Dans cette escouade, on intégrera des outils du ministère du Revenu et du Travail, ainsi que de la Commission de la construction du Québec. Et des flics de la GRC.

Il y aura tout ce beau monde.

Mais pas un seul flic du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)!

En conférence de presse, hier, pour annoncer cette opération Marteau, le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, a évoqué la légendaire escouade Carcajou, formée d'enquêteurs de la SQ, de la GRC et de la police de Montréal, dans les années 90, pour lutter contre les motards.

 

J'ai demandé au ministre Dupuis, en conférence de presse, pourquoi le SPVM n'est pas représenté au sein de cette escouade.

«Dans Carcajou, m'a-t-il dit, il y a certains corps de police qui n'y étaient pas.» Et: «On n'a pas ciblé de corps de police en particulier», pour faire partie de cette nouvelle escouade.

C'est consternant. Montréal est LA ville du crime organisé au Québec. Le SPVM est en première ligne du renseignement criminel, aux premières loges de la lutte contre les bandits, sur les trottoirs, dans les rues et ruelles de Montréal.

Mais il ne sera pas de ce «nouveau» Carcajou.

Métaphore de hockey, si vous permettez: un coach a Sidney Crosby dans son équipe. Mais il décide de le laisser dans le vestiaire, même si Crosby est en santé. Laisser le SPVM sur la touche, c'est aussi fou que ça.

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J'ai parlé à des policiers du SPVM, ces derniers jours. Des gens qui ont eu les pieds dans des enquêtes importantes. Je m'étonnais de ne pas voir le SPVM s'attaquer au ménage à trois composé des entrepreneurs en construction, de certains parrains et d'officiels municipaux, dans les magouilles que l'on sait.

Je les ai interrogés séparément. Et tous, sans exception, m'ont dit la même chose: si le SPVM n'est pas activement impliqué dans ces enquêtes, bonne chance, ça risque de faire patate. Il y a sans doute un tout petit peu de chauvinisme, là-dedans. Mais juste un peu.

L'affaire, dit un policier, un cadre, c'est qu'à force de suivre et d'espionner les bandits, à longueur d'année, à longueur d'enquêtes, les flics de Montréal savent les liens entre les poissons, gros et petits, dans l'écosystème du crime. Ils peuvent faire des recoupements.

«Tiens, prends l'opération Colisée, qui a frappé la mafia, il y a quelques années. Dans cette enquête, on a appris énormément de choses, pas forcément criminelles, sur les liens entre des gens de la politique et des gens de la construction. Il y a des accointances. Il y a des gars de construction, disons, qui dînent avec des gars de politique. Puis, après, parce qu'on les a suivis, on sait quels gars de construction dînent avec des gars du crime organisé!»

Un autre agent, gars de terrain: «Pour ce genre d'enquête, ça prend des gars qui connaissent les patrouilleurs des quartiers. Qui ont des contacts. Et qui ont des informateurs, surtout! Les informateurs, à Montréal, on en a. Pas la SQ.»

Car les informateurs, «c'est le nerf de la guerre», me dit un autre policier, un enquêteur. Qui ajoute: «Si tu veux régler des choses à Montréal, on doit être là. On a des ressources que personne d'autre possède, pas la GRC et pas la SQ. Et le contraire est vrai: la SQ et la GRC ont des atouts que nous n'avons pas.»

Puis, il y a la méfiance naturelle entre la SQ et le SPVM, cette rivalité inhérente à toutes les relations entre tous les corps de police de la terre qui partagent le même terrain. Mon premier flic me disait:

- Un enquêteur du SPVM peut entrer dans un poste de quartier et demander: «Qui a des contacts dans telle ou telle place?» Les gars veulent nous aider. On fait partie de la famille.

- Et un enquêteur de la SQ...

- Oublie ça. Il va avoir une réception polie. C'est tout.

Sans compter qu'en matière de produits de la criminalité, au coeur des crimes économiques modernes, les policiers du SPVM ont développé une solide expertise.

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J'ai demandé à Michel Forget, le patron de la section des crimes économiques de la SQ, pourquoi le SPVM reste sur la touche. Réponse de diplomate: «C'est une question de juridiction. Mais le SPVM collabore pleinement.»

Ça, les enfants, c'est comme dire que Sidney Crosby va aider ses coéquipiers avec de judicieux conseils, entre les périodes...

Je ne comprends pas l'absence des flics du SPVM sur ce coup-là. Ça ne peut pas être bêtement l'annexe G de la Loi sur la police, qui met la corruption de fonctionnaires dans la cour de la SQ: ça n'empêche pas la composition d'une escouade mixte, selon le criminaliste Jean-Claude Hébert.

Et, au pire, un article de loi, ça se change. Québec va en changer pour faciliter le nettoyage de l'industrie.

Un ancien enquêteur de la police de Montréal, qui a été aux premières lignes de la lutte contre les motards, dans les années 90, qui a vu la SQ et le SPVM former Carcajou, n'en revient pas, lui non plus.

«Quand nous sommes ensemble, pourtant, nous sommes imbattables...»

Je me demande ce qu'Yvan Delorme, grand patron du SPVM, ancien de Carcajou, pense de cette opération Marteau qui manque déjà de clous.