Le Dr Karl Weiss occupe à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont un bureau à l'image des trucs qu'il étudie et combat à longueur de journée : minuscule. Bactéries, virus, parasites, champignons occupent le Dr Weiss, d'ordinaire. Mais par les temps qui courent, c'est une certaine grippe A qui accapare son attention.

«La grippe A est la première pandémie qu'on vit en direct, dit-il. C'est la première pandémie de l'ère de l'internet et de la biologie moléculaire...»

Le SRAS, en 2003, a mis quelques mois à frapper partout dans le monde. La grippe A, variante du H1N1, réapparue au Mexique au printemps, a mis six mois à s'étendre aux cinq continents. La peste noire du XIVe siècle, rappelle le Dr Weiss, a mis deux ans à se répandre en Europe.

Ce qui a changé? «Les voyages, plus nombreux. Au XIVe siècle, la peste s'est répandue au rythme des foires commerciales.»

Ce midi, à la bibliothèque Saul-Bellow de Lachine, le Dr Weiss donne une conférence dans le cadre des Journées du savoir de l'Université de Montréal sur l'impact des maladies infectieuses sur l'histoire.

L'histoire a été influencée par des bibittes microscopiques, doc?

«Entre 1349 et 1351, la peste noire a tué le tiers des habitants de l'Europe. Résultat : on est passé d'une agriculture de subsistance à une agriculture plus commerciale parce que les agriculteurs avaient soudainement plus de terres où semer. Les gens pouvaient vendre leurs surplus de récoltes ; les villes ont commencé à compter sur la campagne pour se nourrir...»

En 1812, Napoléon a envahi la Russie : il a perdu des milliers de soldats, et on peut dire que le froid et le typhus ont contribué à sa défaite, note Karl Weiss.

Et au XXe siècle, la planète a connu une fabuleuse explosion démographique parce que les maladies infectieuses ont été efficacement combattues par une pléiade de vaccins et d'antibiotiques.

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Évidemment, ces jours-ci, c'est un des 16 virus de type H, le A (H1N1), qui retient l'attention de Karl Weiss et de ses collègues. Le Dr Weiss me parle de ce virus, qui, comme tous les virus, a évolué et s'est adapté. Comment? «En empruntant des morceaux à d'autres virus. C'est pourquoi les virus de type H1N1 se répandent facilement. Ils s'adaptent.»

C'est la «beauté» des virus : ils veulent se reproduire, prendre de l'expansion. Mais pour ce faire, un virus ne peut pas tuer tous ses hôtes!

«Le virus de la grippe aviaire, le H5N1, est très virulent : 60 % de mortalité quand il frappe. Il est très méchant, mais il n'a pas compris qu'il ne doit pas tuer son hôte.

- Un virus est donc intelligent?

- Je préfère dire qu'un virus s'adapte...»

Variole, grippe, peste, tuberculose, rougeole, polio, malaria, coqueluche et autres saloperies tout aussi contagieuses qu'invisibles ont tué, au fil des siècles, des millions d'êtres humains. Mais depuis une centaine d'années, vaccins, antibiotiques et médicaments ont permis de réduire radicalement le nombre de victimes de maladies infectieuses.

«Ça explique que bien des gens soient contre les vaccins, explique le Dr Weiss : on ne voit plus les effets des maladies que ces vaccins combattent. On se concentre sur cinq cas potentiellement problématiques parmi cinq millions de vaccinés. Les gens se disent, sur une base égoïste, dans une perspective de sécurité absolue : Et si c'était moi?»

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Je suis passé voir le Dr Weiss vendredi dernier, à la fin de la semaine où le Québec a commencé à prendre la grippe A beaucoup plus au sérieux. «Ce qui a changé l'attitude des gens face au vaccin, c'est la mort d'enfants. Quand je regarde la zizanie autour des centres de vaccination, ça me rappelle que les maladies infectieuses ont le potentiel de déstabiliser rapidement des sociétés qui, comme la nôtre, sont très organisées.»

L'affaire, c'est que nous savons que ces maladies infectieuses peuvent frapper n'importe qui, n'importe où, n'importe quand, note le Dr Weiss. Si trois enfants meurent en un week-end à cause de sièges d'auto mal arrimés, on ne se sent pas aussi interpellé que si trois enfants meurent de la grippe A : «Là, il y a une panique. Les gens savent que ça se transmet facilement.»

Mais quand il regarde la panique et la zizanie qui s'emparent des gens, ces jours-ci, autour des centres de vaccination, le microbiologiste croit que la peur transcende peut-être la grippe A (H1N1) elle-même...

«Il y a probablement quelque part, dans notre subconscient, sans qu'on s'en rende compte, une vieille anxiété face aux maladies infectieuses. Se peut-il que, parce que nous en avons eu si peur jadis, on en ait encore peur?»