Par un après-midi récent, j'ai passé une fort intéressante heure et demie avec Ariane, une jeune femme qui pratique le métier d'escorte. On s'était donné rendez-vous après avoir échangé quelques cour...

Hé, pourquoi vous faites ces faces-là?

Vous me lisez bizarrement, je le sais, je le sens.

Ai-je mal accordé le verbe donner? Ça prend un «s», ou quoi?

 

Ah! O.K., là, je comprends!

My God, vous pensez croche, des fois.

Non, enlevez-vous ça de la tête tout de suite. J'ai passé 90 minutes à prendre des notes. Habillé. Ariane m'a écrit il y a un mois environ. Elle voulait me parler de son métier méconnu, celui de travailleuse du sexe. J'ai dit laissez-moi trouver l'angle d'attaque, Ariane, je vous reviens...

C'est de Stella* qu'Ariane voulait me parler, surtout. Stella, c'est cet organisme qui représente et défend les travailleuses du sexe. Stella est en campagne, tout le mois de décembre, contre la banalisation de la violence faite aux travailleuses du sexe. Les préjugés sont tenaces. Les filles de Stella tentent de les piétiner à coups de talons hauts.

«Moi, je suis chanceuse. Je sais que c'est surprenant, mais la majorité des hommes que je rencontre sont très respectueux. Très rare que je me sente mal. Tiens, l'autre jour, rien de violent, mais je suis tombée sur un gars qui m'a traitée comme une pute.Sauf que c'est l'exception.»

Le temps de trouver l'angle d'attaque, Cyberpresse a publié sa lettre d'opinion; Christiane Charrette l'a reçue à son émission. J'ai dit laissez-moi dormir là-dessus.

Je n'ai pas trouvé d'angle d'attaque. Je suis allé rencontrer Ariane quand même, curieux: quand même, escorte, c'est pas banal!

«Mon enfance? Sans histoire, pas parfaite, pas d'abus, pas de drame.»

Son dernier diplôme: cinquième secondaire. Les métiers? Ceux qui viennent, bien souvent, avec une cinquième secondaire: service à la clientèle, vendeuse, commis de bureau, réceptionniste...

Rien de bien payant, quoi. Rien de bien excitant.

Escorte, c'était un fantasme. Quelques clics dans l'internet plus tard, Ariane s'est lancée en affaires. Affaires coquines.

Je sais bien que la prostitution est un monde pas jojo. Qu'il y a de l'exploitation, du pathos, des filles qui traînent des malheurs personnels gros comme l'océan Atlantique dans des motels de passe.

Pas Ariane.

Elle fait ce métier en indépendante. Travailleuse autonome du sexe. Ça se peut. À 250$ l'heure (750$ pour quatre heures), «même si l'économie de Montréal n'est pas florissante», Ariane, 35 ans, a trouvé un métier payant. Et excitant: «Je retire du plaisir de ça, c'est sûr.»

Elle rencontre ses clients à l'hôtel. La clientèle: 60% de Québécois, 40% de visiteurs, touristes ou hommes d'affaires de passage. Mariés, pour la plupart. Je croyais qu'elle mépriserait l'homme au moins un tout petit peu, forte de son jogging horizontal rémunéré avec le sexe fort...Même pas.

«Si mon opinion a changé depuis deux, trois ans, depuis que je fais ça, c'est qu'elle est plus positive! Je sais que j'ai l'air de la pute au grand coeur quand je dis ça, mais dans l'intimité, mes clients ne veulent pas juste du cul. Ils sont vulnérables, ils sont fins.

- Pourquoi les gars paient pour du sexe, Ariane?

- C'est Jack Nicholson, l'acteur, qui a le mieux résumé. Tu sais ce qu'il a dit des prostituées?

- Non, quoi?

- Je les paie pas pour le sexe. Je les paie pour qu'elles partent.»

La maîtresse, elle peut débarquer chez vous, m'a expliqué Ariane. Et si t'es célibataire, ah, là, il y a le jeu de la séduction, qui te coûte cher en restaurants, en fleurs, en chocolat et en cravates neuves. La travailleuse du sexe? Tu paies, tu fais ton truc et c'est fini.

À l'écouter, on croirait que c'est un métier comme un autre. Peut-être. Je la regardais et je me disais surtout qu'Ariane, si on ignore comment elle paie son compte d'Hydro, c'est une fille comme les autres.

Une fille comme les autres, mais un peu enveloppée, tout de même. Une ronde, comme on dit poliment.

Elle avait ses complexes, comme bien des filles pas forcément rondes. Puis un truc ironique s'est produit avec le changement de carrière atypique: Ariane a commencé à s'accepter un peu plus, à force de baiser à 250$ l'heure.

«Je n'attire pas tous les hommes. Mais j'ai mon marché! Je ne manque pas de clients. Tu sais, il y a plus d'hommes qu'on pense qui sont attirés par les rondes. Mais il ne l'assument pas. Ils ne veulent pas sortir avec une ronde. Mais si tu leur donnes la chance d'avoir une relation charnelle avec une ronde, là...»

Ariane ne finit pas sa phrase. Elle sourit. «J'ai l'impression de faire un pied de nez à la société, qui n'est pas pro-ronde.

- Et Noël, Ariane?

- Quoi, Noël?

- Ben, t'as des clients qui veulent te voir le jour de Noël?

- Ah, pour Noël, je ne prendrai pas de client. Je suis avec ma famille.»

Noël en famille. C'est ce que je disais: une fille comme les autres.

* chezstella.org