Elle s'appelle donc Suzanne Brown, de Saint-Jérôme. Elle a 46 ans. Depuis ses deux AVC, dans les années 90, Mme Brown est mal en point : problèmes d'anxiété, troubles panique, agoraphobie, dépression, pertes de mémoire, troubles visuels.

Si l'aide sociale existe, c'est pour les gens comme Mme Brown.

Heureusement pour le BS, un sale rat vivant probablement dans le même immeuble que Jean-Claude Marchand a décroché le téléphone pour signaler à l'État que Mme Brown ne vivait pas chez sa mère, qu'elle vivait chez M. Marchand, un voisin.

Fort de cette délation, le BS a donc dépêché sur la 101e avenue une enquêteuse de choc du nom de Nicole Grenier.

L'enquêteuse Grenier a monté une preuve de «commune renommée». La commune quoi ? Commune renommée : «La réputation de vie commune qu'ont les conjoints chez ceux qui les connaissent et plus spécialement chez leurs voisins, leurs parents et les amis», selon la définition qu'on peut lire dans le dossier de Mme Grenier.

Si vous trouvez que la définition de la «commune renommée» ressemble à celle de «commérage de quartier», vous n'avez pas tout à fait tort. J'ai lu le résumé des témoignages glanés par Nicole Grenier pour démontrer que Mme Brown vivait non pas en locataire chez sa mère mais bel et bien maritalement avec Jean-Claude Marchand.

Et ça ressemble à du commérage, justement. Des exemples :

Témoin no 7 : «Pour ce témoin, Mme Brown demeure avec M. Marchand car elle la voit souvent assise sur la galerie.»

Témoins nos 12 et 13 : «Ils voyaient M. et Mme revenir avec des sacs du Tigre géant.»

Témoin no 15 : «Il déclare avoir vu souvent Mme Saint-Laurent et son fils mais la fille une coupe de fois (sic). Les trois étaient présents quand je me présentais de jour, parfois de soir.»

À la décharge de l'enquêteuse, d'autres «preuves» recueillies peuvent donner à penser que Suzanne Brown passe beaucoup de temps chez son chum. Je ne dis pas que ces preuves donnent à penser qu'elle habite chez son chum. Mais qu'elle y passe beaucoup de temps.

Sauf que j'ai appelé le témoin no 15. Il était assez évident qu'il s'agissait de Richard Desjardins, le propriétaire. Et M. Desjardins m'a donné une version, disons, pas mal moins catégorique que celle qu'on peut lire dans les notes de l'enquêteuse du BS. Oui, il voyait Mme Brown chez sa mère, quand il y allait. Et pas juste «une couple de fois».

Selon les notes de l'enquêteuse Grenier, le témoin no 15 voyait l'affaire Brown comme un verre à moitié plein.

Selon les miennes, il le voyait à moitié vide.

À la fin, ce que ça change ? Ben, ça peut faire un dossier qui, en apparence, déborde d'irrégularités...

De toute façon, que Mme Brown habite chez M. Marchand ou pas ne change rien à l'équation de la vie maritale. En effet, la «vie maritale», aux yeux du BS, se définit comme «des liens d'entraide économique, morale et affective».

Dans le cas de Mme Brown, le BS offre comme preuve de ces liens les trois faits suivants : M. Marchand a un jour payé le dentiste de sa blonde avec sa carte de crédit ; M. Marchand transporte Mme Brown dans sa voiture ; Mme Brown a déclaré avoir des relations intimes avec M. Marchand.

«Nous considérons que tous ces services sont semblables à ceux qui existent entre gens mariés ou unis civilement...»

Je ris, en lisant cette phrase d'André Hétu, réviseur du BS qui a reconnu Mme Brown coupable de ne pas avoir déclaré qu'elle avait un chum. Au BS, ça n'en prend pas beaucoup, disons, pour être uni civilement. Selon cette définition, j'ai eu 20 épouses au moins depuis 1991...

Au final, l'enquêteuse de choc Nicole Grenier a convaincu le système que Suzanne Brown et Jean-Claude Marchand étaient des crosseurs. Personnellement, j'en doute. Mais le système a triomphé et réclamé au couple... 50 000 $. Juste ça.

Après contestation, le système a réduit la dette à 23 000 $. Que Mme Brown paie à raison de 112 $ par mois. M. Marchand ne paiera pas sa part : il a fait faillite.

Pourquoi je vous parle de cela ?

Parce que c'est parfaitement dégueulasse. Si Mme Brown était une jeune femme de 25 ans à la santé impeccable, apte à travailler, je dirais bon, ça va, d'accord : achalons-la jusqu'à ce qu'elle aille travailler. Mais ce n'est pas le cas. Pas du tout.

Chercher des poux à une femme qui ne peut PAS travailler, monter en épingle le commérage (par définition) approximatif du voisinage pour «prouver» la supposée union maritale d'une femme qui passe son temps entre le logement de sa mère et celui de son chum, logements séparés de quelques mètres, je trouve qu'on entre dans un zèle qui nous rapproche un peu de celui de la Stasi. Je trouve que c'est dégueulasse.

Surtout que, comme me le fait remarquer le député Gilles Robert, qui épaule Mme Brown, si elle recevait des prestations de la CSST ou de la SAAQ en tant que personne inapte à travailler, jamais on ne l'embêterait à propos de son état matrimonial, jamais on ne lui poserait de questions sur sa vie sexuelle, comme on l'a fait au BS.

Dégueulasse ? Mets-en. Combien pensez-vous que Suzanne Brown touche de l'État ? Son chèque est d'un peu plus de 800 $ par mois.

Remarquez, il y a de quoi se réjouir dans cette histoire de petite vie écrasée par la grosse machine de l'État. Je parle du zèle et du dévouement de l'enquêteuse Nicole Grenier. Il faut lui donner une promotion au plus vite, à cette dame.

D'abord, tu lui demandes de débusquer tout le fric caché à l'abri du fisc en Suisse ou aux Bahamas. Ensuite, tu la mets sur le cas du fric volé par Vincent Lacroix. Elle va le trouver, c'est sûr. Plus tard, tu l'affectes à l'affaire Earl Jones.

Après, quand ces dossiers seront réglés, Nicole Grenier, tu la prêtes au FBI. Je suis sûr qu'elle va trouver en moins d'un mois les témoins pakistanais qui savent dans quelle montagne se fait bronzer Oussama ben Laden.