C'était début décembre, à l'eXcentris. L'ensemble à cordes Forestare présentait un show. La salle était pleine. Soirée-bénéfice, j'oublie pourquoi, avec Richard Desjardins comme invité spécial. Je n'avais jamais vu Desjardins en spectacle. J'étais là pour lui.

Belle soirée. Les cordes, bon, c'est pas ma tasse de thé. Joli, bien sûr. Mais Richard Desjardins accompagné par 12 guitares et une contrebasse?

 

Oh boy. Bonsoir la beauté.

Il a fait, quoi? deux ou trois chansons? Pas plus. Moment de grâce. Comme son disque symphonique, d'ailleurs (pardonnez la plogue, une fois n'est pas coutume).

L'Abitibien a joué Les Yankees, chanson de résistance. Vous la connaissez peut-être, c'est l'histoire d'un peuple qui voit débarquer les exploiteurs de ressources sur ses terres, arrogants avec leurs jouets de fer, pour sucer la Terre de tout, «le grain, le chien et l'uranium, l'opium et le chant de l'ancien» ...

Nous savions qu'un jour ils viendraient,

À grands coups d'axes, à coups de taxes

Nous traverser le corps de bord en bord,

Nous les derniers humains de la terre...

C'est une chanson émouvante sur le progrès, bien sûr (et ceux que le progrès écrase). Sur le pouvoir des puissants, sur le pouvoir du fric, sur le pouvoir de la loi (et de ceux qui ont la loi de leur bord).

J'aime Desjardins pour sa musique. Mais encore plus pour l'homme debout qu'il est, dans le civil. Pour ce talent d'emmerdeur qu'il met au service de causes obscures. Avec Robert Monderie, le «bon gars» a signé L'Erreur boréale (sur les saloperies faites à la forêt) et Le Peuple oublié (sur les saloperies faites aux Algonquins). Le tandem prépare un autre documentaire sur l'industrie minière. Desjardins et Monderie ont le chic pour fesser dans les jarrets des puissants et donner une voix aux petits...

Juste avant que Desjardins ne vienne faire son tour de chant à l'eXcentris, Forestare a salué la présence d'un autre homme debout. Enfin, il était assis quand il a été présenté: Claude Robinson, le concepteur entubé par CINAR, qui a vu son honneur et sa dignité récompensés par la cour après un long combat judiciaire.

Robinson a embrassé sa blonde à travers sa grosse barbe, ému, pendant que la salle l'ovationnait.

C'était, en quelque sorte, une soirée pour résistants.

Et nous voici devant vivants, fils de soleil éblouissant

La vie dans le reflet d'un glaive

J'écoute Les Yankees et je pense aux gens de Sept-Îles. Dans notre province gigantesque, le combat des gens de Sept-Îles, depuis un an, est un peu passé inaperçu. Un combat contre la prospection et l'éventuelle exploitation de gisements d'uranium.

J'ai parlé de ce combat, l'été dernier, en visitant la Côte-Nord pour La Presse. Le milieu, c'était clair, ne voulait pas de prospection d'uranium au lac Kachiwiss, un projet de la britanno-colombienne Terra Ventures. Des médecins aux écolos en passant par le conseil municipal, on disait NON. On réclamait un moratoire.

Dans une région qui vit de ses ressources, c'est un consensus peu banal. Les mines, notamment, font vivre beaucoup de nos compatriotes sur la Côte-Nord. S'opposer aux mines, c'est un peu contre nature pour un Nord-Côtier.

Pourquoi cette hantise de l'uranium? D'abord parce que le gisement visé par l'exploration est situé près de la source d'eau potable de Sept-Îles. Ensuite, parce que l'exploitation de l'uranium est une source d'inquiétude immense un peu partout dans le monde.

La Colombie-Britannique, notamment, a imposé un moratoire, dans les années 80. L'uranium y est jugé trop dangereux pour la santé humaine s'il se répand dans les écosystèmes.

Le Dr Bruno Imbeault, pneumologue de Sept-Îles, m'avait ainsi résumé la place particulière de l'uranium dans le totem minier: «Une chose est claire: quand des études sur les mines d'uranium sont publiées par des gens qui font de la science fondamentale, leurs conclusions sont catastrophiques. Quand elles sont publiées par des gens qui ont des liens avec l'industrie minière, ces études constatent des effets... neutres!»

Dimanche dernier, 1200 personnes ont marché à Sept-Îles pour réclamer un moratoire sur la prospection et l'exploitation de l'uranium au Québec. La manif a eu lieu dans la foulée de la déclaration d'une vingtaine de médecins, qui ont dit qu'ils démissionneraient si Terra Ventures exploite un jour une mine d'uranium près de Sept-Îles.

Je répète: 1200 personnes! Pour Sept-Îles, c'est énorme. Même la chambre de commerce locale s'est jointe aux écolos pour marcher avec le peuple...

Cette semaine, Terra Ventures a annoncé la suspension du projet sous divers prétextes, sans mentionner l'opposition des citoyens.

Mais il semble bien que, à Sept-Îles, la résistance à une forme particulière de Yankees a porté ses fruits.

À Sept-Îles, les gens ont encore peur. Peur qu'un jour Terra Ventures (ou une autre minière) ne reprenne l'exploration des gisements en vue d'ouvrir une mine. C'est pourquoi les gens de Sept-Îles veulent un moratoire sur l'uranium.

Ça pose, plus globalement, la question de l'opposition des communautés à des projets énergétiques ou de ressources naturelles. Mines, ports méthaniers, éoliennes: quand le progrès pointe, il est difficile en maudit d'y résister. Même quand l'opposition est populaire et majoritaire.

C'est vrai, il y a le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE), qui permet au peuple de se faire entendre. C'est justement ce que fait le BAPE: il entend les récriminations. Puis, l'immense majorité du temps, il donne son aval aux projets.

J'ai dit que le BAPE entend. Pas qu'il écoute. Écouter, c'est différent...

C'est pourquoi la victoire des Septiliens est si réjouissante. Parce que la résistance paie, des fois. Parce que, pour paraphraser la toune de Desjardins, encore, ça fait du bien de voir des gens vivre «encore plus fort, malgré le frette et les barbares».