Monsieur Péan

Claude Péan a fondé l'organisation Aimer = servir il y a quelques années. Alphabétisation, dépannage alimentaire. Financement local, américain, canadien. C'est son gendre, Renaud, que j'ai rencontré dans l'avion, qui m'a fait rencontrer M. Péan, quartier Nazon.

Tableau prenant. Le clan Péan a transformé sa maison de la rue Honorat en quartier général d'un nouveau refuge pour sinistrés. Ce nouveau refuge, c'est le grand terrain des Péan. Sous des tentes, jusqu'à 400 personnes, qui vivaient dans le quartier.

 

«Tous ces gens chez vous, M. Péan, je...

- C'est une nouvelle expérience!» dit-il en m'interrompant.

M. Péan, assisté de son fils Claudrito, a transformé la propriété en véritable camp de réfugiés. Chaque jour, les voisins pauvres et sans abri sont nourris. Sans cohue. À force de débrouillardise et de fric gratté à gauche et à droite, le clan Péan fait l'aller-retour Port-au-Prince-Saint-Domingue pour aller chercher de la nourriture.

«Vous savez, depuis une semaine, cinq bébés sont nés ici!»

M. Péan est fier, son sourire est radieux. Je ne sais pas si M. Péan, de la rue Honorat à Port-au-Prince, est religieux. Mais voici un homme qui aime son voisin, pas seulement son prochain. C'est moins facile qu'on pense.

Vanessa

Dans le ventre de ce centre communautaire de Delmas 24, Vanessa Carpenter dit aux pasteurs Roro, Gérard et Toto que c'est bien beau, transformer l'endroit en clinique médicale, mais qu'il va falloir des toilettes.

«Des toilettes portatives. Quelqu'un sait où en trouver?»

Vanessa semble épuisée. Pantalon lilas, lunettes mal assurées sur ses cheveux frisés. Dix ans que Vanessa aide les orphelins haïtiens. Sa vie, sa mission. Elle oeuvre à Angels Mission Haïti. Trouve des familles américaines pour ses petits. Les envoie se faire soigner aux États-Unis.

«Ce que je fais ici? Ma mère ne voulait pas de moi. Toute jeune, c'était clair, pour moi: quand j'allais être grande, j'allais travailler avec des enfants négligés.»

Ce centre communautaire, immense, spacieux, n'a pas été trop endommagé par le séisme. On était en train de le transformer en clinique de pédiatrie avant le 12 janvier. Ce sera une clinique, point, pour tout le monde. Pendant un an, au moins, pour soigner les gens du coin.

La discussion porte sur les soins. On a des médecins, dit Vanessa, mais il va falloir des anesthésistes. Aux pasteurs, elle dit qu'il va falloir marteler le message que les gens doivent venir se faire soigner. «Ils ont peur de venir, ils ont peur d'être amputés. Dites-leur qu'on ne le fait qu'en dernier recours...»

Vanessa et les pasteurs me font visiter les lieux. Ici, il y aura une salle d'opération. Là, l'entrepôt pour les médicaments. On formera des chirurgiens haïtiens.

Et, Haïti, pour Vanessa, c'est une façon de servir Dieu. Vanessa est chrétienne.

«Les Haïtiens ont été frappés. Mais c'est beau de les voir. Ils disent: Seigneur, merci, je suis en vie.»

Le jour tombe, je prends congé. Vanessa me tend une main fatiguée, me dit qu'elle priera pour moi. «Et faites-moi signe si vous savez comment trouver des toilettes portatives, O.K.?»

Dielva, Jean-Jacques

Dielva David et Jean-Jacques Faubert étaient, à Tapis-Rouge, dans le comité de citoyens. Le quartier est dévasté, mais MM. David et Faubert sont encore actifs dans le comité, qui gère le bidonville tout neuf où nous sommes.

Moi: Que fait l'État pour vous?

M. David: L'État est voleur. Fanfaron.

M. Faubert: Il n'y a pas d'État, ici. Pas de gouvernement. Pas de président.

M. David: La communauté internationale fait ce qu'elle peut. L'aide est stockée mais ne se rend pas aux gens. On en donne à des marchands...

M. Faubert: Et ça se vend sur le marché noir. Très cher.

Le Rivoli

Le Rivoli est une boutique pour les riches de Port-au-Prince. On y vend des montres hors de prix et des vêtements griffés. Sa marquise trône sur un édifice (à peine fissuré par le séisme) qui fait le coin d'un pâté de maisons, au-dessus des gueux. La veille de mon départ, on a ajouté deux coeurs à la marquise, Saint-Valentin oblige.

Question de rappeler qu'une montre Cartier fait toujours plaisir à l'être aimé.

Show de boucane

Note à la drama queen qui a fait une montée de lait contre moi à Tout le monde en parle. Beau show. Criante de vérité. Tu vas l'avoir, ton rôle dans Virginie. Ou dans Mirador II: le thème de la série, c'est la bullshit. T'auras même pas besoin de texte.

Passivité

Lue dans une chronique de Vincent Marissal, le 3 février, cette citation du président René Préval, homme proactif: «Il s'agit de savoir s'il est mieux d'importer les tentes ou de les fabriquer ici, question de donner de l'emploi aux Haïtiens.»

C'était... trois semaines après le séisme.

Et la saison des pluies approche. Ce sera l'enfer, la boue en plus. M. Préval en sera alors, j'imagine, à choisir la couleur du tissu des tentes. Je suggère le vert lime.

All talk, no action. Le drame haïtien, cristallisé dans ce barbu impotent.

Wikendley

C'était un terrain de soccer. C'est désormais un bidonville de tentes et d'abris faits de draps. Une femme approche de la foule qui m'entoure. Comme tout le monde, elle veut raconter son histoire. La faim, le manque de soins, la poussière, l'État porté disparu, comme l'ONU, comme MSF, comme toutes les ONG.

Elle s'appelle Wikendley Michel.

«Ma fille a 2 ans, me dit-elle. Elle vomit. Elle a la diarrhée.»

Une infection, sûrement. Ailleurs, un cycle d'antibiotiques et un soluté tueraient la saloperie microscopique qui mine ce bébé. Ici, dans Solino, il n'y a ni l'un ni l'autre.

C'est là que Wikendley plante ses yeux dans les miens et prononce ces paroles qui me poursuivent même dans mes rêves, malgré mon retour, malgré le temps et la distance: «Est-ce que vous allez laisser mourir mon bébé?»