Hé! La gang! Cela ne vous dérange pas trop, gang? Je ne sais jamais autant que je suis un touriste en écriture que lorsque, dans le même temps, comme en ce moment, je lis un pro.

Je suis en train de lire La route de Cormac McCarthy. C'est lui qui a écrit No Country for Old Men. Vous ne l'avez pas su, mais McCarthy était à la mode chez les intellos au début des années 90 avec des livres prétentieux qui se réclamaient à la fois de Poe et du mysticisme de Hawthorne, il me faisait chier, mais chier! En même temps, tu sais ce que c'est: t'es pas pour laisser tout le terrain aux intellos, alors tu t'obstines, tu pioches dans le béton des mots, tu te dis ça doit être la traduction, finalement t'abandonnes.

Des amis qui sont venus rouler en fin de semaine m'ont apporté son dernier, La route, je m'attendais à rien, c'est comme ça que ça frappe le plus fort, en l'ouvrant quasiment, bang, l'énorme coup de poing dans le front. L'Oeuvre. Le Livre. Superbement traduit à part ça. Un livre bien traduit, c'est comme deux écrivains pour le prix d'un. L'Écriture majuscule et cela, juste au moment où je recommence mes bavardages minuscules dans le journal, c'est un peu gênant, mais je me dis bon, c'est pas grave, ils ne sont pas en train de lire La route comme moi, sont en train de lire le journal, et dans un journal je ne détonne quand même pas trop, un petit peu, mais c'est voulu, c'est exprès.

Hé! La gang! C'est pas exprès que je reviens de vacances le lendemain des élections, ça tombe comme ça, il fallait bien que ces vacances finissent, elles ont été assez longues pour ressembler un peu à la retraite, quelques-uns d'entre vous s'en sont inquiétés, quelques-uns vraiment, pas des centaines, c'est pas le nombre, c'est le fond même de leur inquiétude qui m'a énarvé:

Vous n'êtes pas malade au moins, M. Foglia?

Je ne le sais pas, bon! Ça fait deux ans que je n'ai pas consulté un médecin précisément parce que je ne veux pas savoir si je suis malade. Merci de ne plus me poser la question. Une chose est sûre : si je suis malade, je n'irai pas montrer mon cancer à Tout le monde en parle.

Alors oui, ces élections. Figurez-vous que cette fois, je suis allé voter. Pour le regretter aussitôt, d'ailleurs. La faute en est à notre éditorialiste en chef, André Pratte que j'ai lu dans l'auto en revenant d'aller voter. Si je l'avais lu avant, fâché comme je l'étais de son propos, je n'y serais pas allé.

Pour toutes sortes de bonnes raisons que j'ai souvent détaillées ici, je ne vote généralement pas. Cette fois, je ne sais pas pourquoi, en entendant tous ces gens dire qu'ils allaient voter «stratégique», j'ai dit à ma fiancée: ben nous aussi d'abord, on va aller voter stratégique, qu'en penses-tu?

Puis j'ai oublié. Mardi matin, c'est elle qui m'a relancé; je zigonnais dans le bois, elle est venue me chercher: Pis, bûcheron, irons-nous voter stratégique ou tu plaisantais?

Je plaisantais sérieusement. Je me suis mis propre, chemise blanche aux manches retroussées à la Obama. Arrêt au dépanneur pour acheter La Presse, le vote se faisait en face à la mairie. C'est en revenant, dans l'auto, que j'ai ouvert le journal et suis tombé sur l'édito de Pratte. Au titre - «Pas d'excuses» - j'ai su tout de suite que c'était pour dire qu'on n'avait aucune excuse pour ne pas aller voter et j'ai aussitôt regretté d'y être allé.

Son édito finit comme ça : voter est donc non seulement un droit, mais un privilège. Par conséquent, c'est un devoir. Par conséquent?

André, si voter est un droit, par conséquent ne pas voter en est forcément un aussi. Si élire un Maxime Bernier avec 24 740 voix d'avance c'est la démocratie, pour que la démocratie garde un minimum de décence, il faut que soit démocratique aussi le refus de participer à un exercice qui permet à un Maxime Bernier d'être élu avec 24 740 voix d'avance. Des fois, la farce est si énorme que voter contre n'est pas assez. Des fois, il n'y a rien d'autre que le refus pour exprimer son opinion.

Ne pas aller voter - je ne confonds pas avec l'annulation du vote, je dis bien ne pas aller voter - c'est exprimer une opinion.

J'ajoute que ne pas aller voter comme l'ont fait 41% des Canadiens mardi ne menace en rien «le droit de vote». C'est n'importe quoi de lier le droit de vote à l'exercice du vote. Le jour où le droit de vote sera menacé, comptez sur moi pour arriver aux barricades en même temps que vous.

Ma circonscription - Brome-Missisquoi - a voté comme le reste du Québec : Bloc. Et comme le reste du Québec, en réduisant sensiblement l'avance du Bloc au profit des libéraux qui se sont approchés à 1000 voix (ils étaient à 5000 en 2006), et au profit aussi du NPD qui double sa mise, pour un score (4500) plus qu'honorable dans cette circonscription rurale.

Avez-vous regardé la soirée à Radio-Canada? Dites-moi, est-ce que j'exagère un tantinet, ou Bernard Derome a bien répété 12 456 fois que oh là là le Bloc naufrageait, et est-ce que je m'abuse ou ce naufrage comblait d'aise notre ami Bernard? Au point où moi qui m'en contre-crisse, vous n'imaginez pas comment, j'ai fini par aller me coucher content que le Bloc soit tout de même arrivé à bon port ou presque.

Allons bon, cela fait si longtemps que je ne me souviens plus comment on se quitte à la fin d'une chronique. On s'embrasse?

Voulez que je vous lise comment Cormac McCarthy nous quitte à la fin de La route? Comme ça:

Comment je peux être sûr que vous faites partie des gentils ?

Tu ne peux pas en être sûr, c'est un risque que tu dois prendre.

Comme Foglia quand il vote stratégique ?

Pareil.


LA ROUTE, Cormac McCarthy, Éditions de l'Olivier, traduction (superbe) de François Hirsh