Je ne vous ai même pas raconté ma dernière journée à Pékin. Une histoire de rien sans doute, encore qu'on pourrait facilement l'entendre comme une métaphore de tout le pays. Mais ce n'est pas pour cela que je vous la raconte, c'est parce que tant que je n'aurai pas mis le mot fin à ce voyage il va s'effilocher par la queue. C'est aussi parce qu'il y a cette inscription en chinois qui fait désordre dans mon carnet de notes, je viens juste de me rappeler ce que c'est: c'est le nom de la station de métro Chegongzhuang, celle où je devais descendre pour aller au marché d'oiseaux.

Les Jeux se sont terminés le dimanche. Le lundi, j'ai appelé ma fiancée. Je ne sais pas ce qui m'a pris, je lui ai demandé si elle voulait que je lui rapporte quelque chose. Je ne rapporte jamais rien de voyage, j'étais certain qu'elle allait dire non, mais elle a dit oui. Ce n'est pas quelque chose que tu vas me rapporter, a-t-elle ajouté, c'est quelque chose que tu vas faire. Tu vas aller dans un marché d'oiseaux, il y a encore des marchés d'oiseaux à Pékin?

Je crois bien.

Tu vas y aller. Tu vas acheter un oiseau dans sa cage...

J'ai continué à sa place: je vais ouvrir la cage et laisser l'oiseau s'envoler.

Tu vas le faire?

Ben oui.

N'oublie pas, un oiseau ordinaire, pas trop exotique pour qu'il ait des chances de survivre.

Un oiseau chinois, quoi?

C'est ça, un oiseau chinois.

Me voilà donc, le mardi matin, à arpenter le marché d'oiseaux qui se trouve derrière la station Chegongzhuang, une allée avec des arbres, des Chinois accroupis au pied des arbres (il pleuvait un petit peu), les cages posées devant eux. J'ai remonté l'allée deux ou trois fois avant de fixer mon choix sur un oiseau gris très ordinaire de la taille d'une pie, mais ce n'était pas une pie. Combien?

200 yuans m'écrit le Chinois sur un bout de papier. Je barre son chiffre et j'écris 100 à côté. Il accepte aussitôt. Je comprends que je viens de me faire fourrer, mais bon. Je paie. Il ouvre la cage... Non non, je veux la cage avec. Il me fait signe de me calmer. Il veut juste me montrer la bête que je sache au moins ce que j'ai acheté. Il la dépose sur son poing, de l'autre main il lui donne des graines.

Ça me frappe tout d'un coup, pourquoi il ne s'envole pas?

Je fais le signe de voler. Pourquoi ta bestiole ne s'envole pas? Le Chinois lève une aile de l'oiseau, puis l'autre: elles sont coupées à moitié.

J'ai laissé l'oiseau là. Qu'en aurais-je fait? J'ai cherché plus loin. Pas un oiseau dans tout le marché qui n'eût les ailes rognées, je fus bientôt repéré, d'un bout à l'autre de l'allée les Chinois m'imitaient imitant le vol d'un oiseau, certains y ajoutant le chant, cui-cui.

Je suis rentré dans mes quartiers près des universités. Le soir, je suis allé jouer au basket sur le campus avec mon collègue Vincent (celui des lacets pour ceux qui se souviennent, il vous remercie en passant, il en a reçu deux millions). Il s'est mis à pleuvoir tout à fait. On est allés souper dans un resto indien. Le lendemain, j'étais dans le taxi pour l'aéroport, je regardais défiler le paysage hérissé de tours grises, traversé de lignes haute tension. J'aurais dû être heureux de quitter cette laideur à l'infini, ce pays où les oiseaux aussi ont les ailes coupées, pourtant j'étais triste comme je ne le suis jamais en quittant l'Italie ou la France.

Pis ? m'a demandé ma fiancée.

Pis rien, mon amour. Tu veux pas un chapeau à la place? Des boucles d'oreilles?

SARKOZY - Le décryptage du discours de M. Sarkozy qui dure depuis trois jours a quelque chose de surréaliste et d'un peu pathétique. Il n'a pourtant rien dit de si compliqué qu'il faille décortiquer chacun de ses mots. Comme le relevait (à peu près) mon collègue Yves Boisvert, Sarkozy a dit exactement le contraire du fameux Vive le Québec libre du général de Gaulle en 1967. Il a dit, vive le Canada et faites-moi pas chier avec l'indépendance du Québec. Je ne jurerais pas, comme concluait mon collègue, que nous avons assisté là «à un acte de décolonisation mentale», mais en supposant que cela en soit un, il va en falloir pas mal d'autres pour achever de décoloniser l'élite politique de cette province qui, depuis trois jours, n'en finit plus de décortiquer chaque mot du grand chef venu de la mère patrie de la francophonie pour nous parler, sauf que nous, pauvres ti-nèg'blancs, pas avoir bien compris ce qu'il a dit.

Je ne sais plus où j'ai entendu, d'un analyste habituellement allumé -Lisée- que M. Sarkozy aurait dit ce qu'il a dit pour amadouer M. Harper qu'il voudrait voir de son côté dans le règlement de la crise financière...

N'importe quoi. M. Sarkozy n'est ni Machiavel, ni de Gaulle, ni Chirac, ni rien. M. Sarkozy c'est le beauf total qui jogge avec un t-shirt «NY Police Department», qui dit au citoyen qui l'obstine, casse-toi pauvre con. T'amènes M. Sarkozy au Canada, qu'est-ce que tu penses qu'il va dire?

Ben oui, il dit ouah le Canada!

Tu lui montrerais ta queue qu'il dirait ouah la bite.

L'AUTOMNE - Quand je pense que dans la plus belle chanson française il y a ce vers: les feuilles mortes se ramassent à la pelle. J'arrête pas de penser au type qui a écrit ça: à la pelle, hein? Au ramasse-feuilles, ça m'a pris le week-end, à la pelle j'y serais encore.

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle et le vent du nord les emporte dans la nuit froide de l'oubli, dit la même chanson plus loin. C'est même pas vrai, en soufflant dans le tas que tu viens de ramasser, le vent du nord les emporte là où elles étaient il y a cinq minutes et tout est à recommencer.

Bref, c'est la neige qui se ramasse à la pelle. Et les souvenirs. Et les regrets aussi.